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Hubert Reeves, astrophysicien et grand vulgarisateur, est mort

Hubert Reeves, à Paris, en 2013.

Avec sa silhouette de patriarche – crâne dégarni, barbe blanche, œil bleu pétillant –, son accent chantant du Québec, son verbe imagé et précis, il incarnait à la fois le grand-père capable de nous narrer des histoires merveilleuses à la veillée et le druide mélangeant dans son chaudron les ingrédients de l’Univers. Une pinte de Voie lactée, un extrait de Lune, quelques mystérieux grains de matière noire… Il nous avait expliqué que nous étions tous faits de poussières d’étoiles, car l’essentiel des éléments qui nous constituent, comme le carbone, l’oxygène et l’azote, proviennent directement des forges stellaires. Au terme de son passage sur Terre, l’astrophysicien Hubert Reeves est retourné à cette poussière cosmique le 13 octobre. Il avait 91 ans.

A le voir perpétuellement chenu, on en avait presque oublié qu’il avait été enfant. Pourtant, Hubert Reeves, né le 13 juillet 1932 à Montréal, remontait souvent le temps par l’esprit jusqu’à ses jeunes années. Il évoquait cette grande maison familiale en bois donnant sur le lac Saint-Louis, que son grand-père avait fait construire au début du XXe siècle et où il avait tant de souvenirs : des promenades en canoë, l’appel de sa mère qui lançait, à la nuit tombée, un « Avez-vous vu le ciel ? », la planche cartonnée appelée « cherche-étoiles » qui permettait au jeune Hubert d’identifier les astres, et enfin sa grand-mère maternelle qu’il faut absolument nommer ici, Charlotte Tourangeau, qui n’avait pas son pareil pour enjoliver les histoires de Perrault, les prolongeant voire les mélangeant au gré de son imagination, et à qui il devait ses talents de conteur.

La physique théorique

« Ce que vous valorisez en disant “ça, c’est intéressant”, vos enfants le trouvent précieux, nous assurait-il à l’occasion d’une rencontre en 2002. Mes parents aimaient ce qui touchait aux sciences naturelles et l’idée que je ferais des sciences m’est donc venue très tôt. » Friand de mathématiques, le jeune Reeves opte pour la physique théorique, qu’il étudie à Montréal d’abord puis aux Etats-Unis, à l’université Cornell, dans l’Etat de New York, où, se souvenait-il, « se trouvaient les fondateurs de l’astrophysique nucléaire. S’est opérée la magie des grandes universités américaines, où vous vous sentez capable de faire de grandes choses. Y régnait une créativité contagieuse qui donnait des ailes. » A Cornell, il effectue sa thèse sous la direction d’Edwin Salpeter (1924-2008), qui s’est rendu célèbre en montrant comment les étoiles, en fusionnant trois atomes d’hélium, donnent naissance à un atome de carbone.

Hubert Reeves plonge à son tour dans le passé de l’Univers, comprenant qu’être astrophysicien, c’est devenir l’historien du cosmos et de la matière. Il s’intéresse en particulier à trois éléments légers, le lithium, le béryllium et le bore, trop gros pour avoir été fabriqués lors du big bang mais trop fragiles pour avoir été conçus dans le feu thermonucléaire des étoiles. Avec Jean Audouze, le chercheur canadien montre que ces éléments sont créés lorsque des rayons cosmiques de haute énergie brisent des noyaux de carbone, d’oxygène ou d’azote présents dans l’espace. « C’est un article qui a marqué l’époque, nous assurait en 2018 l’astrophysicien Michel Cassé qui fut un des thésards d’Hubert Reeves. Hubert avait une façon très pénétrante de réfléchir aux choses du ciel. Il n’était pas sophistiqué, ce n’était pas un dandy : il allait vraiment droit au but sans s’encombrer de fioritures. »

Au début des années 1960, Hubert Reeves enseigne à Montréal et devient conseiller scientifique à la NASA. Il y forme des professeurs pour les départements de sciences spatiales qui se créent alors à tour de bras au sein des universités américaines, alors que la conquête de l’espace prend son essor. Mais, peu à l’aise avec l’ambiance nationaliste au Québec et désireux d’explorer d’autres horizons, il a des envies d’Europe. En 1964, il prend une année sabbatique et enseigne la physique nucléaire à l’Université libre de Bruxelles. Puis il est invité à prodiguer son savoir en France. C’est un tournant dans son existence, il ne repartira pas.

Le vulgarisateur

Directeur de recherches au CNRS et conseiller scientifique au Commissariat à l’énergie atomique, Hubert Reeves suit une carrière bien balisée. Sa deuxième vie, celle de vulgarisateur, de chouchou des médias et de conteur d’étoiles, lui tombe dessus un peu par hasard. Poussé par des amis, il écrit un premier manuscrit intitulé Patience dans l’azur, en référence à un poème de Paul Valéry. Il le présente à une trentaine d’éditeurs qui refusent tous de le publier, estimant bêtement que l’astronomie n’intéresse personne malgré les questions universelles sur les origines du monde auxquelles elle apporte des réponses.

Hubert Reeves s’apprête à ranger son manuscrit dans un tiroir et à rester le presque anonyme chercheur qu’il est lorsque le physicien Jean-Marc Lévy-Leblond, qui dirige la collection « Science ouverte » aux éditions du Seuil, lui propose… d’écrire un livre. Miracle, il est déjà prêt ! Patience dans l’azur est publié en 1981 et les Français découvrent, dans l’émission « Apostrophes » de Bernard Pivot, ce Québécois qui raconte le cosmos comme on lit un roman.

« On m’avait dit que j’aurais de la chance s’il s’en vendait trois mille. Aujourd’hui, on a dépassé le million d’exemplaires et il est traduit en plus de trente langues… », nous confiait Hubert Reeves en 2002. Au début des années 1980, la célébrité fond sur lui comme un rapace sur un mulot mais il sait qu’il doit s’en méfier, la tenir à distance : « La célébrité, c’est déstabilisant, enivrant et un peu dangereux : on risque d’avoir la grosse tête. Heureusement, ma femme et mes amis me surveillent. » Le cycle livre-télévision-conférences s’enclenche. Une trentaine d’ouvrages suivront Patience dans l’azur, parmi lesquels on peut citer Poussières d’étoiles (Seuil, 1984), Dernières nouvelles du cosmos (Seuil, 1994), ou encore ses Mémoires intitulés Je n’aurai pas le temps (Seuil, 2008).

Défenseur de l’environnement

Chaque jour, une demande de conférences arrive dans son courrier et il s’astreint à une discipline stricte, lui à qui une trop grande implication dans son travail a coûté un divorce suivi d’une dépression : ce sera donc une conférence par semaine en France, une par mois à l’étranger. Au total, il en aura donné plus de 2 500.

Comme si ses deux vies – chercheur et vulgarisateur – ne suffisaient pas, Hubert Reeves en a investi une troisième : défenseur de l’environnement. En 2001, il succède à Théodore Monod à la tête de la Ligue ROC pour la préservation de la faune sauvage. Quelques années plus tard, l’association prend le nom d’Humanité et biodiversité et il en devient le président d’honneur. Son amour de la nature, hérité de ses parents, ne l’a jamais quitté.

Avec sa seconde épouse, la journaliste Camille Scoffier, il a acheté « une vieille ferme délabrée à Malicorne dans la Puisaye », ainsi qu’il le raconte dans ses Mémoires. Il y a là des chênes centenaires mais Hubert Reeves veut aller plus loin en créant ce qu’il appelle « la forêt millénaire, des arbres qui peuvent vivre plus de mille ans : cèdres du Liban, séquoias, tilleuls, ginkgos ».

Affligé par le réchauffement climatique, les pollutions et la perte de biodiversité qu’il constate lui-même dans le jardin de sa maison de campagne, il met sa notoriété au service du combat écologique. Il rédige des tribunes, interpelle les maires, les parlementaires et les candidats à l’élection présidentielle de 2012. « A Malicorne, je le voyais depuis longtemps s’intéresser de manière profonde aux plantes et aux oiseaux, qui comptaient beaucoup pour lui », nous disait en 2018 Michel Cassé. Lequel résumait ainsi le parcours de son ami : « Après avoir écumé le ciel, il s’est passionné pour la Terre. »

Dans Je n’aurai pas le temps, Hubert Reeves assurait qu’on pouvait voir l’astronomie et l’écologie « comme deux volets du même thème : notre existence. L’astronomie, en nous racontant l’histoire de l’Univers, nous dit d’où nous venons, comment nous en sommes venus à être ici aujourd’hui. L’écologie, en nous faisant prendre conscience des menaces qui pèsent sur notre avenir, a pour but de nous dire comment y rester. »

Hubert Reeves en quelques dates

13 juillet 1932 Naissance à Montréal

1965 Directeur de recherches au CNRS

1981 Publie « Patience dans l’azur »

1994 « Dernières nouvelles du cosmos »

2008 « Je n’aurai pas le temps »

13 octobre 2023 Mort à Paris

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