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« Tout laisse penser que nos mythes sur la mort et l’au-delà sont les héritiers des croyances des premiers “Homo sapiens” »

Dans une grotte paléolithique représentant un homme mystérieux avec un taureau, un oiseau, des armes et d’autres symboles.

Pour défier le temps, Julien d’Huy a une arme : la phylomythologie. Après avoir exposé cette approche s’appuyant sur des algorithmes dans Cosmogonies (La Découverte, 2020), l’historien affilié au Laboratoire d’anthropologie sociale propose une esquisse de la structure des mythes autour de la mort et de l’au-delà des premiers Homo sapiens dans son nouvel ouvrage, L’Aube des mythes (La Découverte, 400 pages, 24 euros).

En quoi l’émergence de rituels funéraires et de mythes liés à la mort marque-t-elle un « changement dans l’histoire du monde », comme vous l’affirmez ?

Les animaux possèdent une perception de la mort. Comme eux, nous sommes touchés par la mort, mais nous, nous la conceptualisons. De nombreuses traces archéologiques anciennes démontrent la profondeur historique des rituels funéraires, qui témoignent d’une projection dans l’imaginaire propre à notre espèce. De ces temps reculés subsistent des traces figées, comme des tombes et des ossements, mais aucun texte n’a été retrouvé. Or Homo sapiens est un animal mythologique : l’omniprésence des croyances liées à une vie après la mort ainsi que la puissance des conceptions qui lui sont associées aujourd’hui laissent imaginer que celles-ci remontent à des périodes très lointaines.

La mythologie comparée, et en particulier l’approche phylomythologique que je propose, permet d’ajouter le texte à l’image en analysant grâce à des algorithmes un grand nombre de motifs mythologiques, c’est-à-dire des séquences signifiantes composant chaque mythe et formant une unité permettant de les comparer et de les relier aux migrations des groupes humains dont ils sont issus.

En quoi votre approche permet-elle d’avancer dans l’élucidation des premiers mythes de l’au-delà ?

A partir d’une base de données et grâce aux outils de l’informatique, la phylomythologie retrace la route d’un récit en se fondant sur une règle simple : plus deux traditions mythologiques se ressemblent et plus on peut en déduire que leur ancêtre commun est récent. Si ensuite une troisième tradition se rapproche fortement des deux autres – sans être aussi proche –, il y a fort à parier qu’il s’agit d’une variation qui indique une origine commune plus ancienne. Notre méthode permet alors de remonter le temps, par rapprochements successifs et avec une multitude de précautions.

Je l’ai utilisée avec succès dans le cadre de recherches effectuées dès 2012, dont les résultats ont établi une corrélation entre les voies de diffusion des mythes et celles des migrations humaines. Cette approche phylomythologique est complémentaire d’autres méthodes, en particulier de l’aréologie [l’étude des aires géographiques de répartition des mythes] pratiquée par l’ethnologue russe Yuri Berezkin et le préhistorien français Jean-Loïc Le Quellec. Pour L’Aube des mythes, j’ai notamment eu recours à l’immense corpus rassemblé par Yuri Berezkin, dont le catalogue est fondé sur la collecte massive de mythes recueillis dans plus de 6 000 ouvrages et documents (historiques, ethnologiques, folkloriques…). J’en ai conservé quatre-vingt-un motifs mythologiques liés à la mort concernant dix-sept aires culturelles.

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