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Citoyenneté à vendre : en Dominique, le grand dérapage des passeports dorés

La baie de Roseau, capitale de la Dominique.

La petite bourgade d’Atherton, dans la baie de San Francisco (Californie), est prisée des sportifs de renom, des milliardaires à qui la Silicon Valley a réussi et des hommes politiques en vue. Il est plus étonnant qu’en 2013, Danhong « Jean » Chen ait eu les moyens de s’offrir avec son mari une villa de rêve à près de 6 millions de dollars (5,7 millions d’euros), au regard de ses revenus d’avocate en droit de l’immigration.

Le petit mystère local a finalement été dissipé à l’issue d’une longue enquête de la SEC, le gendarme américain des marchés financiers, qui a détricoté la gigantesque escroquerie mise en place par le couple pour amasser au moins 12 millions de dollars en détournant l’argent d’investisseurs étrangers cherchant à obtenir un permis de séjour aux Etats-Unis, pendant près d’une décennie.

Dès le lendemain de son inculpation, le 18 octobre 2018, Mme Chen est parvenue à quitter les Etats-Unis grâce à un nom d’emprunt, Maria Sofia Taylor, inscrit sur son passeport dominiquais. L’avocate n’a pourtant aucune attache avec la Dominique, petit confetti des Caraïbes coincé entre la Guadeloupe et la Martinique : pour échapper à la justice américaine, elle a secrètement acheté cette deuxième citoyenneté quelques semaines plus tôt, dans le cadre d’un programme de passeports de complaisance mis en place par l’île. Et elle est loin d’être un cas isolé.


Des milliers de personnes ont acquis de la sorte la nationalité dominiquaise en profitant du programme « citizenship by investment » (CBI, « citoyenneté par l’investissement »). Ce système, mis en place par le gouvernement en 1993, permet à n’importe quel ressortissant étranger d’acquérir un passeport en moins de trois mois, à la seule condition de débourser 100 000 dollars ou d’investir le double dans l’économie locale, sans même avoir à poser un pied sur l’île.

Pour la première fois, une enquête conjointe du Monde, du consortium Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), de l’ONG américaine Government Accountability Project et d’une douzaine de médias partenaires permet de faire la lumière sur les dérives de ce programme de passeports de complaisance. Pendant plus d’un an, les journalistes ont épluché une liste de 7 700 titulaires récents de passeports dominiquais, constituée à partir de sources publiques et de documents judiciaires.

Contournement de sanctions pour diffuser la Liga

Parmi ces milliers de néo-Dominiquais – souvent des familles complètes venant majoritairement de Chine, de Russie et des pays du Moyen-Orient –, on retrouve une litanie de criminels et d’aigrefins en tout genre : des fraudeurs taïwanais, des oligarques azéris, un ancien ministre afghan accusé de crimes de guerre et de torture, un haut gradé de la Libye de Kadhafi, d’anciens espions, des fraudeurs financiers ou encore des milliardaires russes sous sanctions et des marchands d’armes. La liste contient également de nombreux hauts responsables publics : deux gouverneurs de banque centrale et un ancien responsable du programme nucléaire de Saddam Hussein y côtoient Samir Rifaï, l’ancien premier ministre jordanien (2009-2011), qui avait pourtant déclaré il y a quelques années qu’il n’aimait « pas, d’un point de vue personnel et en général, qu’un Jordanien ait une autre nationalité ».

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