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« Loin de généraliser des pratiques de sobriété, le choc pétrolier de 1973 conduit au contraire à une fuite en avant »

D’interminables files de voitures devant les stations-service américaines ; des automobilistes néerlandais interdits de rouler le dimanche ; des tickets de rationnement d’essence distribués aux Britanniques. Autant de restrictions et d’appels au civisme qui ont forgé l’image du choc pétrolier d’octobre 1973 comme un événement brutal, inattendu et imprévisible. Tout à leur fascination pour une marchandise qui fait tourner le monde, les sociétés industrialisées n’auraient pas eu conscience de leur dépendance aux hydrocarbures et, naïves, en seraient venues à croire que sa disponibilité immédiate, massive et à bon marché allait de soi.

Impensable et inédit, le choc pétrolier ? L’idée est largement erronée : même en Occident, le recours massif aux énergies fossiles n’a jamais fait totalement disparaître le spectre de la pénurie qui, sans cesse refoulé, n’en est pas moins consubstantiel à la condition de l’Homo petroleum. Il y eut bien sûr la seconde guerre mondiale, ses voitures au gazogène et son recours accru à l’auto-stop ; en 1956, la crise de Suez a perturbé les approvisionnements au point que des mesures de restriction similaires à celles de 1973 avaient été prises dans de nombreux pays européens.

Au-delà de la question de sa disponibilité, le malaise autour du pétrole se pose déjà en termes environnementaux et sanitaires au tournant des années 1970. Le naufrage du Torrey Canyon (1967) puis la marée noire de Santa Barbara (1969) ont rendu visibles aux yeux de tous les pollutions dues à l’extraction et au transport d’hydrocarbures, tandis que le nombre de morts sur la route, en France comme aux Etats-Unis, fait désormais réagir. Malgré les efforts des compagnies pétrolières, l’idée que la combustion des hydrocarbures pourrait, en quelques décennies, entraîner un réchauffement du climat fait son chemin, y compris dans la culture de masse.

En 1973, le film Soleil vert, de Richard Fleischer, met en scène Charlton Heston en policier dans le New York de 2022 accablé par une canicule permanente, triste préfiguration d’un futur qui semble sans cesse se rapprocher. Cette même année, Ivan Illich publie La Convivialité ainsi qu’Energie et équité et, aux côtés d’autres penseurs, pose les bases d’une critique écologiste des sociétés carbonées, qui dessine d’autres futurs possibles. Entre dénonciation radicale et émotion ponctuelle, le choc pétrolier de 1973 s’inscrit donc dans une « pétromélancolie », selon le mot de l’universitaire américaine Stephanie LeMenager, qui naît de la conscience de dépendances problématiques, mais si complexes qu’il serait impossible d’y mettre un terme.

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