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« Contre le cancer chez les sujets âgés, j’en appelle à plus de nuances dans le choix des traitements  »

Etienne Brain, oncologue, à l’Institut Curie, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), le 1er juin 2022.

Constatant que les populations âgées ou fragiles sont trop souvent exclues des essais thérapeutiques, Etienne Brain, oncologue à l’Institut Curie, sur le site de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), a orienté ses travaux vers l’étude de ces populations afin de leur offrir des traitements plus adaptés. Il a reçu, en juin 2022, le prix Byrl James Kennedy pour l’excellence scientifique en oncologie gériatrique, décerné par l’Association américaine d’oncologie clinique (ASCO).

Quand avez-vous pris conscience de l’importance d’adapter les traitements des cancers chez les patients fragiles ?

Entre 1990 et 2000, la chimiothérapie délivrée après une chirurgie pour un cancer du sein – dans le but d’en prévenir les rechutes – est devenue plus agressive. Il y a eu une escalade considérable de ses indications. Au début des années 2000, j’ai pu observer des accidents graves, certains fatals, en particulier chez des patientes âgées ou fragiles. J’ai alors été frappé par la représentation incohérente de ces sujets âgés en recherche clinique : alors que la moitié des cancers surviennent après 65 ans – ils seront sans doute 60 % d’ici à dix ans –, 90 % des personnes participant aux essais cliniques en cancérologie ont moins de 65 ans ! Et, parmi les 10 % de participants de plus de 65 ans, la très grande majorité ont moins de 70 ans et sont sélectionnés pour leur état général satisfaisant.

Cette discordance entre la population des essais cliniques et la population de la « vraie vie » conduit donc à construire des recommandations sur des évaluations menées sur une population relativement plus jeune, qui n’est pas la plus touchée, pour les appliquer sans discernement aux plus âgés.

D’où vient cette discordance entre la population des essais cliniques et celle de la « vraie vie » ?

L’oncologie est une discipline extrêmement dynamique où la biotechnologie a pris une part importante, s’appuyant sur la recherche académique mais aussi industrielle. Or, quand les firmes développent un nouveau traitement, elles souhaitent atteindre un marché dans les meilleurs délais pour justifier leurs investissements. Il leur faut donc montrer rapidement l’intérêt du traitement, sans être entravées par des complications – dont le risque de survenue augmente en présence d’états de santé complexes, eux-mêmes plus fréquents avec l’âge. Résultat : ces essais recrutent très peu de personnes âgées.

Le modèle du développement des nouveaux traitements est donc intrinsèquement en porte-à-faux vis-à-vis de la grande majorité des patients atteints de cancer, ceux qui sont âgés représentant une part importante potentielle des prescriptions. Derrière ce modèle, il existe donc une loi du marché insidieuse que la société a beaucoup de mal à admettre.

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