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Quand un particulier ignore posséder un trésor et le brade à un brocanteur pour 150 euros

Le particulier qui brade un objet en pensant qu’il ne vaut pas grand-chose et qui, plus tard, apprend que celui-ci a trouvé preneur aux enchères, pour plusieurs millions d’euros, peut-il faire annuler la vente pour vice du consentement ? C’est ce que plaide Me Frédéric Mansat-Jaffré, avocat de M. et Mme X qui, en septembre 2021, ont accepté de vendre un masque africain 150 euros.

Masque fang (Gabon) estimé 300 000/400 000 euros et adjugé aux enchères le 26 mars 2022 à Montpellier au prix de 4,2 millions d’euros.

Lorsqu’ils ont voulu vider une résidence secondaire, ils ont été mis en relation par leur jardinier avec un antiquaire-brocanteur, M. Z, qui leur a acheté quelques objets, dont le masque. Le 24 mars 2022, M. X a découvert, en lisant Le Figaro, que celui-ci allait faire l’objet d’une vente aux enchères exceptionnelle, car il s’agissait d’un masque fang très rare. Deux jours plus tard, celui-ci était adjugé au prix de… 4,2 millions d’euros.

Les X estiment avoir été trompés par l’antiquaire. Il ne les a pas informés de la valeur du masque, alors que, selon eux, il devait « s’en douter », puisqu’il ne l’a pas exposé dans sa boutique, qu’il est revenu leur poser des questions sur son origine – l’objet avait été rapporté du Gabon par le grand-père de M. X, gouverneur colonial en Afrique, au début du XXe siècle –, et qu’il l’a fait dater au carbone 14 (ce qui coûte 600 euros, soit plus que le masque), avant de le confier à un ethnologue, puis, en dépit des frais d’enchères, à l’hôtel des ventes de Montpellier qui l’a mis à prix à 300 000 euros.

Me Mansat-Jaffré considère qu’il est possible d’annuler la vente, comme l’ont déjà fait des propriétaires de tableaux de Nicolas Poussin (Olympus et Marzyas et La Fuite en Egypte). Ces tableaux avaient été attribués par des experts à des auteurs mineurs, et adjugés à des prix dérisoires, avant d’être authentifiés.

Poussin contre Fragonard

A l’issue de quinze ans de procédure, les propriétaires en avaient obtenu la restitution. Ils avaient invoqué le principe selon lequel l’« erreur » du vendeur entraîne la nullité d’un contrat lorsqu’elle porte sur la « substance » de l’objet de ce contrat (article 1110 ancien du code civil). Ils avaient fait valoir que leur erreur portait sur la « substance » du tableau, à savoir son authenticité. L’avocat compte faire de même (en invoquant l’article 1132 nouveau du code civil, ainsi que les trois « arrêts Poussin » de la Cour, 76-11551, 82-12.237 et 01-15.306), ses clients ayant cru de manière « erronée » que le masque ne valait rien.

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Me Mansat-Jaffré précise que la partie adverse ne saurait lui opposer l’« arrêt Fragonard » (du 24 mars 1987, 85-15.736), par lequel la cour a refusé d’annuler la vente du tableau Le Verrou. Ses propriétaires l’ayant offert à la vente avec la mention « attribué à » Fragonard, la Cour de cassation a jugé qu’ils avaient « accepté un aléa » sur son authenticité, et non agi sous l’empire d’une erreur. Les propriétaires du masque, eux, insiste-t-il, n’ont « jamais douté de l’absence de valeur du masque ».

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