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Amin Maalouf et Jean-Christophe Rufin, duel de Goncourt pour diriger l'Académie française

L’Académie française doit choisir jeudi qui, entre Amin Maalouf et Jean-Christophe Rufin, sera son 33e secrétaire perpétuel et successeur d’Hélène Carrère d’Encausse. L’élu parmi les deux écrivains aura la tâche d’assurer la pérennité d’une institution au fonctionnement original – une exception hexagonale.

Après le décès d’Hélène Carrère d’Encausse début août, les « immortels » sont appelés, jeudi 28 septembre, à élire le nouveau secrétaire perpétuel pour la remplacer à la tête de l’Académie française. Deux écrivains sont candidats au poste : Amin Maalouf et Jean-Christophe Rufin. Les candidatures étaient ouvertes jusqu’à lundi soir.

Le scrutin est prévu jeudi après-midi, selon des modalités très simples. Les 35 membres de l’Académie française sont électeurs. Seuls les suffrages se portant sur l’un de ces deux hommes seront comptabilisés. L’élu aura la tâche d’assurer la pérennité d’une institution séculaire au fonctionnement singulier.

L'écrivain franco-libanais et membre de l'Académie française Amin Maalouf à son domicile à Port-Joinville, dans l'ouest de la France, le 1er octobre 2021.
L’écrivain franco-libanais et membre de l’Académie française Amin Maalouf à son domicile à Port-Joinville, dans l’ouest de la France, le 1er octobre 2021. © Loic Venance, AFP

Amin Maalouf, 74 ans, prix Goncourt 1993

Amin Maalouf, 74 ans, est un écrivain franco-libanais qui a obtenu le prix Goncourt en 1993 pour « Le Rocher de Tanios ».

Considéré comme le favori, il est candidat déclaré depuis un certain temps.

Sa personnalité fait l’unanimité : il est très impliqué dans les activités de l’Académie française, où il est entré en 2011. Il a aussi comme avantage d’être vu comme un secrétaire perpétuel qui aurait plu à Hélène Carrère d’Encausse.

Il publie le 4 octobre « Le Labyrinthe des égarés » (Éd. Grasset), une série de récits sur les confrontations historiques entre l’Occident et le reste du monde.

L'académicien, diplomate et écrivain français Jean-Christophe Rufin à Paris, le 3 mars 2016.
L’académicien, diplomate et écrivain français Jean-Christophe Rufin à Paris, le 3 mars 2016. © Joel Saget, AFP

Jean-Christophe Rufin, 71 ans et prix Goncourt 2001

Jean-Christophe Rufin, ancien diplomate de 71 ans, a obtenu le prix Goncourt en 2001 pour son livre « Rouge Brésil ».

Ce médecin de formation est à l’Académie depuis 2008.

Moins consensuel qu’Amin Maalouf, il a hésité avant de finalement se lancer. « D’abord tenté de renoncer, je suis parvenu à la conclusion que notre grande cause mérite bien quelques sacrifices », écrit-il dans sa lettre de candidature, citée par Le Monde. Il avait laissé savoir qu’il trouvait frustrant d’avoir un seul candidat.

Le magazine M du Monde a raconté qu’un autre académicien, Marc Lambron, avait mené une campagne active contre lui ces derniers mois, lui reprochant un manque d’indépendance.

Jean-Christophe Rufin, qui multiplie les activités, a en effet rendu en mai un rapport pour TotalEnergies sur la situation au Mozambique. Et il a présidé de 2020 à 2022 la Fondation d’entreprise Sanofi Espoir, issue du groupe pharmaceutique, rebaptisée ensuite Foundation S.

  • « Donner des règles » à la langue française

L’Académie française a été fondée en 1635 par Richelieu, son « chef et protecteur ». Aujourd’hui, cette fonction est assurée par le chef de l’État. Sa mission : travailler « à donner des règles certaines à notre langue et à la rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ». 

L’Académie rédige un dictionnaire et se prononce sur des règles orthographiques. La langue qu’elle défend se situe entre « l’usage et la norme ». En quatre siècles, l’institution a produit huit dictionnaires. Le premier date de 1694, le dernier de 1930. Depuis 1986, l’Académie publie progressivement sa neuvième édition – en juillet dernier, les « immortels » ont terminé l’examen des mots de cette 9e édition, près de deux fois plus nombreux que dans la 8e.

L’émergence de la linguistique, l’apparition des dictionnaires et la création de commissions chargées de la défense du français ont entamé sa prééminence.

Après des siècles d’opposition, l’institution a accepté, en 2019, de féminiser certains métiers : cheminote, contrôleuse, députée, docteure… En 1990, elle consent au moindre usage du tiret dans les mots composés, aux accents circonflexes facultatifs sur les -u et les -i ou à la francisation de certains mots étrangers. Pas question, cependant, de bouger sur les anglicismes ou l’écriture inclusive, un « péril ».

  • Des immortels… et seulement 11 femmes élues en près de quatre siècles

Aujourd’hui, 35 « immortels » siègent sur les 40 membres statutaires, une référence à la devise « À l’immortalité » qui renvoie à leur mission de préserver la langue française.

Élus à la majorité absolue, les académiciens sont des scientifiques, prêtres, écrivains, historiens ou politiques. Parmi les plus illustres : Montesquieu (1727), Marivaux (1742), Voltaire (1746), Chateaubriand (1811), Hugo (1841, après quatre candidatures) ou encore Pasteur (1881). Zola essuie 25 refus, quand Clemenceau, pas même candidat, est élu à l’unanimité en 1918. Tout comme le maréchal Pétain (1929), exclu en 1945.

Plusieurs étrangers ont siégé, comme l’Américain Julien Green (1972), le Canadien d’origine haïtienne Dany Laferrière (2015), le romancier d’origine russe Andreï Makine (2016), l’écrivain d’origine chinoise François Cheng (2002) ou encore l’écrivain espagnol d’origine péruvienne Mario Vargas Llosa – seul académicien à n’avoir jamais écrit en français.

En près de quatre siècles, seulement 11 femmes ont été élues – six siègent actuellement. Depuis 1760, où l’académicien D’Alembert a proposé en vain de réserver quatre fauteuils aux femmes, être élue relève du parcours de la combattante.

La première candidate est la journaliste Pauline Savari, en 1893. « Les femmes ne sont pas éligibles puisqu’on n’est citoyen français que lorsqu’on a satisfait à la conscription » (le service militaire obligatoire, NDLR) », lui rétorque-t-on. En 1910, la candidature de Marie Curie est aussi rejetée… pour ne pas créer de précédent. En 1980, Marguerite Yourcenar est la première femme élue – non sans mal.

L’Académie considère que les termes « immortel » et « académicien » ne doivent pas être féminisés. Élue en 1999, Hélène Carrère d’Encausse, première à diriger l’Académie, tenait à ce qu’on l’appelle Madame « le » secrétaire perpétuel.

  • Épée, habit vert et adaptation au virage d’Internet

Tout nouvel académicien reçoit une épée et un habit de drap bleu foncé ou noir, brodé de rameaux d’olivier vert et or, confectionné par un grand couturier ou le tailleur de l’armée. Le moins cher du marché est à 50 000 euros l’habit.

Autrefois marque d’appartenance à la Maison du roi, l’épée est désormais personnalisée. Simone Veil y fit graver son numéro de matricule au camp de Birkenau. Chantal Thomas lui préféra un éventail. Jacqueline de Romilly, un sac brodé.

Que ce soit Amin Maalouf ou Jean-Christophe Rufin, le secrétaire perpétuel de l’Académie française est le membre qui dirige l’Académie française. Il n’y a eu que 32 personnes pour occuper ce poste depuis 1634. L’Académie compte 40 sièges – dont cinq encore vacants, en l’attente d’élections.

Hélène Carrère d’Encausse, entrée en 1990 et élue à la tête de l’institution en 1999, restera le secrétaire perpétuel qui a fait prendre à l’Académie française le virage d’Internet. Quoique contesté par de nombreux linguistes pour son conservatisme, le dictionnaire de l’Académie est un outil précieux pour suivre l’évolution de la langue française. Toutes ses éditions sont disponibles en ligne gratuitement.

Pour son successeur, l’une des tâches cruciales sera d’assurer la pérennité financière qui n’est pas garantie, selon un rapport de la Cour des comptes sur l’Institut de France publié en 2021.

L’autre défi sera d’attirer des candidats de valeur pour revêtir l’habit vert. Hélène Carrère d’Encausse n’a, en effet, pas toujours eu du succès dans ses tentatives de susciter ou faire avaliser les candidatures d’écrivains plus jeunes et populaires. Michel Houellebecq n’a pas répondu à ses appels du pied, et des auteurs comme Frédéric Beigbeder ou Benoît Duteurtre ont été recalés.

Avec AFP

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