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Planification écologique : dans les transports, la baisse d’émissions est mal engagée

Le 26 septembre 2023.

Lundi 25 septembre, le président de la République a dévoilé des pistes pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Fruit d’un travail porté depuis plus d’un an par le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), ce plan vise à réduire les émissions françaises de gaz à effet de serre (GES) de 33,8 % en 2030 par rapport à 2022.

Mais dans son projet d’« écologie à la française », Emmanuel Macron n’envisage ni contrainte ni rupture majeure, comme l’illustre le sujet des chaudières à gaz : le président assume d’« encourager » les Français « sans interdiction, mais en les incitant à changer plus vite ». Mais ce choix pourrait bien se révéler inadapté pour décarboner les transports terrestres et aériens.

Secteur aérien : une décarbonation bien plus lente et difficile que ce que le gouvernement laisse entendre

Le secteur aérien est emblématique des difficultés que pose une transition écologique légalement non contraignante. Les émissions de gaz à effet de serre de l’aviation civile française n’ont fait que croître depuis l’apparition de ce secteur, à l’exception notable des trois dernières années, affectées par la pandémie de Covid-19. Or le plan gouvernemental envisage une réduction de 12 millions de tonnes de CO2 d’ici à 2030 par rapport à 2019, soit une division par deux des émissions du secteur en sept ans.

Les leviers de décarbonation existent, mais ceux que la planification actuelle entend actionner ont des effets soit tardifs, soit très limités.

  • Augmenter la part des carburants durables

Le document publié par le SGPE préconise d’augmenter progressivement la part de carburants d’aviation durables (CAD) utilisée par les avions, en développant une vraie filière française de production de ces carburants.

Les CAD de deuxième génération, issus de la biomasse (recyclage ou valorisation d’huiles, de graisses, de déchets ou de résidus agricoles et forestiers) se distinguent de la première génération (huile de palme, canne à sucre) par le fait qu’ils n’encouragent pas la déforestation et n’entrent pas en concurrence avec l’agriculture à visée alimentaire. Actuellement, ils ne sont pas produits en quantité suffisante et ne pèsent que pour 1 % des carburants utilisés par l’aviation mondiale.

Le gouvernement entend faire émerger une filière française forte pour en produire plus. Mais cela prendra du temps. « Quand on met, d’un côté, les ressources en biomasse dont on dispose et, de l’autre, les besoins, on voit bien qu’il y a un déséquilibre très important. Rien que pour l’aérien, avec ses perspectives de croissance, il serait totalement impossible de remplacer tout le kérosène par des biocarburants, analyse Pierre Leflaive, responsable des questions de transport au Réseau Action Climat (RAC). Même si, techniquement, on peut arriver d’ici à 2035 à remplacer 100 % du kérosène par des biocarburants, ça ne peut concerner qu’une flotte résiduelle. » De plus, « il y aura des concurrences d’usage avec le chauffage, le bâtiment, la construction, ce qui va contraindre cette ressource énergétique ».

Dans l’hypothèse où l’on parviendrait à produire assez de CAD pour faire voler tous les avions, leurs émissions de CO2 baisseraient. Mais ces dernières ne représentent qu’un tiers de l’influence du secteur sur le climat (ce qu’on appelle le forçage radiatif). Les traînées de condensation qui se forment derrière les avions ainsi que les rejets d’ozone ou d’oxyde d’azote dans la troposphère participent grandement à l’effet réchauffement de l’aviation.

  • Remplacer la flotte par des avions plus performants

Le plan présenté par Emmanuel Macron préconise aussi d’améliorer l’efficacité énergétique des avions en renouvelant les flottes par des aéronefs plus économes en carburant (hybrides, électriques ou à hydrogène), espérant ainsi économiser 3 millions de tonnes de dioxyde de carbone en sept ans.

Le Monde

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Malheureusement, les marges de manœuvre sont limitées et leur effet ne serait que tardif : les avions actuels sont bien plus économes que ceux d’il y a vingt ans, mais le rythme d’amélioration de leur efficacité énergétique se tasse avec le temps (celle-ci a d’ailleurs été très largement contrebalancée par la croissance du nombre de vols). Il faudrait donc compter sur une rupture technologique incertaine pour réduire drastiquement les émissions.

Et même si celle-ci advient, elle ne peut produire d’effets rapides, car le renouvellement d’une flotte prend du temps : en moyenne, un avion de ligne reste en service entre vingt et vingt-cinq ans, soit un renouvellement complet du parc plutôt à horizon 2050. On est loin d’un effet visible avant l’année 2030.

Quant aux technologies telles que l’hydrogène, elles sont très loin d’être matures, et leur faisabilité (autant en matière de sûreté que de rentabilité) divise les professionnels du secteur.

  • Communiquer davantage sur les impacts écologiques des vols

Pour faire baisser les émissions du secteur aérien, la « maîtrise de la demande », c’est-à-dire la réduction du nombre de vols, est le levier d’action le plus efficace, et ses effets sont immédiats. Un plus grand usage de carburants alternatifs, qui sont trois à quatre fois plus chers que le kérosène, pourrait justement renchérir le coût du billet pour les clients, donc réduire de la demande. Mais l’incorporation de ces carburants alternatifs s’étalera sur des années.

En revanche, une taxation du billet d’avion ou du kérosène pourrait accélérer cet effet dissuasif lié au prix, mais le gouvernement exclut de telles mesures, estimant qu’elles pénaliseraient la compétitivité française sur un marché très concurrentiel, où l’exonération fiscale du kérosène est mondiale.

Finalement, les autorités devront s’appuyer sur des mesures de sobriété si elles veulent efficacement décarboner ce secteur. « A terme, il n’y aura pas un avion vert, c’est un mythe, avertit Pierre Leflaive. Il pourrait y avoir, sur une flotte résiduelle, des carburants alternatifs qui permettront de réduire les émissions de gaz à effet du secteur aérien. Mais ce n’est possible qu’avec une réduction de la flotte. Il y a vraiment un consensus scientifique sur cette question. »

Automobiles : la difficulté de renverser le marché sur le poids des véhicules

Au cours des trois dernières décennies, les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports n’ont cessé d’augmenter. En France, les véhicules des particuliers représentent à eux seuls près des deux tiers des émissions du secteur.

Pour décarboner le transport routier, le plan dont Emmanuel Macron a présenté les grandes lignes prévoit d’agir sur deux fronts :

– en favorisant les véhicules particuliers « légers et sobres » pour « remplacer les véhicules thermiques les plus polluants » pour une économie de 3 millions de tonnes équivalent CO2 (Mt eqCO2) ;

en incitant la population à se tourner davantage vers l’électrique, « avec un objectif de 15 % de véhicules 100 % électriques roulant en 2030, contre seulement 1 % aujourd’hui », ce qui réduirait les émissions de 11 Mt eqCO2. Le gouvernement mise sur le renforcement de l’aide à la conversion, le déploiement des bornes de recharge, la révision des avantages fiscaux liés aux flottes d’entreprises et véhicules de fonction ou le durcissement des malus pour encourager à l’achat et à la production de véhicules plus sobres.

  • Pourquoi ce sera plus compliqué

Les objectifs vont dans la bonne direction, mais ne seront pas suffisants pour changer la donne, dénonce le RAC. « L’idée de l’électrification des véhicules est bien mise en avant, mais pas l’enjeu de la réduction du parc automobile et la question du type d’électrification », déplore Pierre Leflaive.

Tout d’abord, la tendance actuelle du marché automobile est loin de la sobriété que le président appelle de ses vœux. Les SUV, plus gros, plus lourds et plus polluants que la moyenne des véhicules, sont les plus vendus en Europe. En France, ils représentaient 46 % des immatriculations de voitures neuves sur les cinq premiers mois de 2023, dépassant pour la première fois les berlines.

Dans la même lignée, si le remplacement des véhicules thermiques avec des voitures électriques va dans le bon sens, le poids reste un enjeu majeur, quelle que soit la motorisation. « Le bénéfice de l’électrification est réduit, parce que les véhicules que l’on vend sont des véhicules lourds », considère M. Leflaive, et leur impact en matière de production et d’usage (cycle de vie) plus néfaste que des véhicules plus légers.

Les objectifs du gouvernement se heurtent à la réalité de l’offre des constructeurs, qui privilégient, même pour la gamme électrique, la production de SUV. En juillet, le patron de Stellantis, Carlos Tavares, avait jugé qu’il était impossible de produire de façon rentable des petites voitures électriques en France. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, avait alors fait appel à son « patriotisme économique », en affirmant : « Le défi industriel pour la France, c’est de construire non seulement des véhicules haut de gamme, mais aussi des petits véhicules électriques comme la [Peugeot] e-208 sur notre territoire. » Une demande restée lettre morte.

Pour inciter à la sobriété, une taxe sur le poids des véhicules (malus) pénalise, depuis 2021, les voitures de plus de 1 800 kilos (un seuil abaissé à 1 600 kilos dans le projet de loi de finances pour 2024). Elle ne touche que de 2 % à 3 % des véhicules aujourd’hui et seulement de 5 % à 6 % avec un seuil à 1 600 kilos, mais pourrait concerner 40 % des véhicules si le seuil était baissé à 1 300 kilos. Reste à savoir si Emmanuel Macron, qui avait qualifié cette politique d’« écologie créatrice de valeur économique », osera aller plus loin que le malus automobile.

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