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Jean Paul Riopelle à la Fondation Maeght, l’artiste inattendu

Projet de décors pour le chorégraphe Merce Cunningham, en 1967, dans un carnet de dessins, de Jean Paul Riopelle.

Il faut se méfier de l’eau. Jean Paul Riopelle (1923-2002), qui par la suite privilégia sagement le vin, s’y est noyé dans sa jeunesse : après un apprentissage tranquille, entre 1939 et 1945, de l’art très académique tel qu’on l’enseignait alors dans son Québec natal, un jour qu’il se préparait à peindre un honnête paysage, son regard s’est fixé sur une petite mare oubliée par le fleuve sur les berges de l’estuaire du Saint-Laurent. Comment diable représenter ce qu’il percevait dans les reflets de la flaque d’eau ? C’est la nature, mais vue autrement, qui a fait de lui – au moins pour un temps – un peintre abstrait. Cela donnera quelques drippings à la Jackson Pollock, mais surtout, durant toute une période qu’il passa à Paris, des toiles puissamment maçonnées à la truelle de peintre, qui firent sa renommée.

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Or, c’est un artiste bien différent que donne à voir l’exposition conçue, avec l’aide remarquable de la Fondation Jean Paul Riopelle au Canada, à la Fondation Maeght de Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritimes), par sa fille, Yseult Riopelle, et par André Hénault, spécialiste de l’œuvre graphique. Pour célébrer le centenaire de la naissance de son père, Yseult a réuni plus de 180 œuvres réalisées avec les techniques les plus variées : peinture, dessin – parfois en utilisant le procédé oublié de la pointe d’argent –, pastel (en partie grâce à son amitié avec Sam Szafran), sculpture, céramique, lithographie – il y a même un paravent lithographié sur soie –, collage, tapisserie (sans oublier des décors pour un ballet de Merce Cunningham dans la troupe duquel dansa Yseult Riopelle), qui témoignent d’une diversité des pratiques rarement montrée jusqu’alors.

Rejeter l’académisme

« La technique, disait-il, permet de rebondir, d’aller plus loin. » Les estampes surtout, qui parfois, marouflées sur toile, deviendront le support de créations nouvelles. En outre, pour mieux illustrer ce parti pris, la fille de l’artiste a-t-elle choisi un accrochage ne respectant pas l’ordre chronologique. Généralement périlleuse, la démarche se révèle ici payante, désarçonnant dès l’entrée ceux – l’auteur de ces lignes compris – qui pensent connaître le travail de Riopelle. Les premières salles sont en effet thématiques. Seule la dernière du parcours, bouée de sauvetage pour l’historien d’art perdu, reprend le fil du temps de l’œuvre et nous replace face à des repères rassurants.

On y retrouve l’histoire, désormais bien connue, d’un artiste qui, très tôt, sous la houlette de Paul-Emile Borduas, professeur à l’Ecole du meuble de Montréal, a, avec ses camarades, rejeté l’académisme, cofondé le groupe dit « des automatistes » dans les années 1940 et cosigné un manifeste fondateur de la modernité québécoise, « Refus global ». Ces trublions ne pouvaient qu’attirer la curiosité d’André Breton, qui avait séjourné au Québec en 1944. Trois ans plus tard, il propose à Riopelle de participer à l’exposition internationale du surréalisme, qu’il organise avec Marcel Duchamp à Paris, dans la toute nouvelle galerie Maeght. Un succès public : elle recevra 40 000 visiteurs. Riopelle, qui ne détestait pas les calembours, choisit d’y montrer une œuvre intitulée Eaux-mères, une aquarelle qui plus est : la malédiction du Saint-Laurent le poursuit… Ce sera toutefois l’occasion de sa première rencontre avec Aimé Maeght, qui deviendra ensuite son marchand. Et le moment où il décide de s’installer à Paris. Paradoxalement, c’est là qu’il découvrira l’histoire de son pays.

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