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Cameroun : dans les régions anglophones, le viol comme arme de guerre

Une patrouille de l’armée camerounaise sécurise les bureaux de vote à Lysoka, près de Buea, dans la région du Sud-Ouest, le 7 octobre 2018.

Jenny* interrompt son récit et se tord de douleur, la main droite posée sur le ventre, l’autre enfoncée dans un oreiller. Plonger dans ses souvenirs est une torture. Comme des dizaines de femmes originaires de l’une des deux régions anglophones du Cameroun, cette agricultrice a été violée. Par des militaires, précise-t-elle, déployés dans les environs de sa ville natale depuis qu’a éclaté en 2017 la guerre civile opposant les séparatistes et l’armée.

C’était en septembre 2021, dans un village situé en périphérie de Bamenda, la capitale de la région du Nord-Ouest. Alors âgée de 46 ans et mère de six enfants, Jenny travaillait dans sa plantation de haricots, ignames et maïs, avec l’une de ses filles. Concentrées sur leur tâche, les deux femmes n’ont pas fait attention aux soldats qui s’approchaient. « D’habitude, quand on les entend ou qu’on voit leurs véhicules à distance, on court se réfugier dans la brousse. On a été surprises », raconte Jenny en pleurs.

« C’est commun à Bamenda depuis que la guerre a commencé », se désole-t-elle. Depuis, elle s’est réfugiée à Douala, la capitale économique du pays, où elle partage une chambre avec ses garçons. Sa fille, également violée, est à Yaoundé, la capitale administrative, chez un oncle. Sa mère, à Ebolowa, dans le Sud. Séparée de sa fille « par manque d’argent, mais aussi pour ne plus en parler et essayer d’oublier, explique Jenny. A l’intérieur, je suis détruite. Je vis comme une morte vivante. »

Entre 2019 et 2023, Le Monde a rencontré trente victimes qui confient, comme elle, avoir été abusées. Par les militaires pour certaines, par des séparatistes pour d’autres. Depuis le déclenchement du conflit qui a déjà fait plus de 6 000 morts et poussé plus de 700 000 personnes à quitter leur foyer, selon l’ONG International Crisis Group, les cas de violences fondées sur le genre « ont explosé », constate Akem Kelvin Nkwain, responsable des droits de l’homme au Centre for Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA), une organisation qui documente le conflit dans l’ouest du pays.

Déni du côté de l’armée et des séparatistes

« Le viol est constamment utilisé comme une arme de guerre, laissant de nombreuses femmes et filles psychologiquement torturées. Certaines ont fini dans la tombe, d’autres ont tenté de se suicider à cause de cette situation, renchérit Rosaline Obah, coordinatrice nationale du Cameroon Community Media Network (CCMN).

Les responsables militaires que Le Monde a interrogés rejettent en bloc toutes les accusations. « L’armée camerounaise a un seul devoir : protéger le territoire et le peuple jusqu’à son sang. Et c’est ce que les militaires font et certains perdent leur vie pour la nation entière, soutient un colonel, officier en poste dans la partie anglophone. Aucun militaire ne violera la personne qu’elle est censée protéger. Nos hommes sont formés ».

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