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« L’Invention de l’économie française » se penche sur le berceau de la comptabilité nationale

Livre. Le sociologue Thomas Angeletti (CNRS, Irisso) date « l’invention » de l’économie française du milieu du XXe siècle. Voilà qui peut surprendre. C’est que son livre (L’Invention de l’économie française, Presses de Sciences Po) s’inscrit ostensiblement dans une démarche « constructiviste » : selon cette approche, c’est en nommant les phénomènes et en les qualifiant, pour leur donner une consistance statistique et administrative, qu’on construit de nouveaux êtres sociaux. Il ne s’agit donc pas de prétendre qu’il n’existait pas d’activités commerciales et industrielles en France à des périodes plus anciennes. Il est question ici de l’invention de la catégorie « économie française » et, à travers elle, d’un nouveau régime de savoirs macroéconomiques et de ses effets.

Le récit commence dans l’entre-deux-guerres. De nouvelles institutions veulent alors parler au nom de « l’économie française » : le Conseil national économique, à partir de 1925, puis le ministère de l’économie nationale, en 1936. « L’économie française » apparaît aussi dans les publications d’économistes et de statisticiens qui s’efforcent d’en préciser le contenu (qu’est-ce qui relève de l’économie et qui n’en relève pas ?), d’en identifier les cycles, et d’en mesurer la taille sous la forme du « revenu national ».

Après 1945, ces savoirs deviennent les points d’appui de nouvelles politiques publiques. Deux nouveaux personnages entrent en scène : le macroéconomiste et le planificateur. Ils ont pour nom Alfred Sauvy (1898-1990) et André Vincent (1900-1990), à l’Institut de conjoncture, ou encore Claude Gruson (1910-2000) au ministère des finances. Leur langage commun est celui de la comptabilité nationale et son modèle simplifié de l’économie.

A partir du début des années 1950, il prend la forme de trois tableaux : le tableau économique d’ensemble, qui représente les échanges entre ménages, entreprises et administrations ; le tableau des opérations financières, destiné à mieux harmoniser l’épargne et l’investissement ; enfin le tableau d’échanges interindustriels (aujourd’hui tableau des entrées et sorties), qui permet d’identifier les dépendances de chaque secteur d’activité aux matières premières. Dès lors que « l’économie française » est dotée d’une structure comptable et d’une grandeur monétaire, elle peut faire l’objet d’une politique orientée vers la « croissance », qui devient dans le même temps un nouveau paradigme, promu notamment par François Perroux (1903-1987), le titulaire de la chaire d’économie au Collège de France.

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