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Extraits des « Cellules buissonnières », le livre qui explore l’ADN humain : « Le microchimérisme brouille les frontières du temps et de la mort » »

[Dans « Les Cellules buissonnières », à paraître le 21 septembre, la journaliste scientifique Lise Barnéoud, qui collabore régulièrement au « Monde », explore le microchimérisme. Un phénomène fascinant par lequel nous pouvons abriter dans nos organismes des cellules de nos mères, de nos frères ou sœurs, de nos enfants, ou même d’embryons qui ne sont pas développés. D’autres ADN que le « nôtre ».]

Nous autres, espèce humaine, nous passons en moyenne neuf mois au chaud, logés, nourris. Neuf mois durant lesquels, à partir d’une seule et minuscule cellule, fusion d’un ovule et d’un spermatozoïde, nous devenons un organisme riche de plusieurs centaines de milliards de cellules. Plus que d’étoiles dans notre galaxie.

Il y a quelque chose de renversant et plaisant à la fois dans le fait d’imaginer que toutes ces cellules qui nous composent, de la tête aux pieds, du cœur au cerveau, découlent du même œuf fécondé. Une cellule-œuf si petite qu’on pourrait la loger dans le diamètre d’un cheveu, et qui contient une combinaison unique de 23 chromosomes maternels et 23 chromosomes paternels. Ce sont eux qui portent notre ADN, considéré comme notre identité génétique pour le reste de notre vie.

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Sauf que les choses sont plus compliquées que ça. Au tournant du millénaire, des scientifiques portaient déjà un premier coup de canif à cette conception égotique de nos identités en nous apprenant que ce « je », que l’on espérait pur et unique, était en réalité un « nous », dont la moitié des constituants ne nous appartenaient pas. Entrelacées à nos cellules humaines vivent un nombre équivalent de cellules microbiennes sans lesquelles nous ne pourrions survivre. Des bactéries, des virus, des champignons, des levures… autant de micro-organismes imbriqués dans nos tissus et qui influencent non seulement notre métabolisme, notre immunité, mais aussi nos humeurs, nos comportements…

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Voici qu’une autre révolution est en marche : même cette moitié d’humain que nous sommes n’est pas uniquement constituée de ce « je ». Cette dernière unité à laquelle nous pouvions nous raccrocher se fissure. Elle aussi est plurielle. Les mille milliards de cellules humaines qui nous composent en tant qu’adultes ne proviennent pas toutes de notre noyau originel. Semblables à des étoiles venues d’ailleurs, certaines d’entre elles portent d’autres signatures chimiques que les nôtres, elles cachent un ADN différent. Et pour cause : elles proviennent d’autres êtres humains…

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Telle est l’ampleur des chamboulements mis au jour par le microchimérisme. Drôle de nom pour un champ de recherche scientifique, non ? Dans la mythologie grecque, Chimère était une créature malfaisante, munie d’une tête de lion, d’un corps de chèvre et d’une queue de serpent, laquelle provenait de sa mère, la déesse vipère Echidna. Ici, point de créatures extraordinaires : nous sommes tous microchimériques. L’emprunt à l’imaginaire fantastique reflète la stupeur et la fascination des scientifiques face à ce qu’ils ont d’abord interprété comme une monstruosité. Mélanger des cellules d’autrui aux siennes ? Les cellules d’un autre qui parfois ne vit plus, voire n’a jamais vécu ? Chacun de nous est-il donc multiple ? Quel renversement de perspective ! Nous qui nous pensions purs, dotés d’un outil de défense territoriale performant, capable de reconnaître notre « soi » et de rejeter le « non soi ».

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