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En Côte d’Ivoire, les élections locales, marchepied ou tombeau des ambitieux

Adama Bictogo lors de son meeting de campagne à Yopougon, un quartier populaire d’Abidjan, le 1er septembre 2023.

En Côte d’Ivoire, le double scrutin du 2 septembre, couplant élections municipales et régionales, a été largement remporté par le parti au pouvoir, qui étend ainsi son contrôle politique du pays. Si les premiers enjeux étaient locaux, ces élections étaient aussi un baptême du feu pour les politiciens qui nourrissent, ouvertement ou non, une ambition nationale et espèrent renforcer leur position au sein de leur parti. Dans les trois principales formations qui se partagent le pouvoir depuis l’indépendance, la jeune garde tenait là l’occasion d’exposer ses forces et les anciens de montrer qu’ils pouvaient encore séduire l’électorat.

Au sein du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti du président Alassane Ouattara, Mamadou Touré, le ministre de la jeunesse, a été élu dans le Haut-Sassandra avec 58,65 % des voix. « C’est une belle performance, à la fois pour le parti et sur le plan individuel, pour Mamadou Touré », salue Roger Adom, le directeur de cabinet du secrétaire exécutif du RHDP. Et une victoire totale, les sept communes ayant basculé elles aussi du côté du parti au pouvoir. « J’avais deux challenges, explique Mamadou Touré. Reprendre une région qu’on avait perdue il y a cinq ans, et ce n’était pas gagné. Mais surtout épauler tous les candidats à la mairie jusqu’à la victoire. »

Le jeune loup de 47 ans, déjà député de la circonscription de Daloa depuis 2016, « a déployé de grands moyens et a su exploiter les failles de l’opposition, explique le politologue Sylvain N’Guessan, profitant de l’absence du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire [PPA-CI, le parti fondé par Laurent Gbagbo] pendant ces longues années pour s’implanter ». Il assoit ainsi sa position de figure de proue de la nouvelle génération RHDP. Au point de se positionner comme un potentiel successeur du chef de l’Etat Alassane Ouattara, 81 ans, dont la candidature à la présidentielle prévue en 2025 demeure une éventualité ?

Succès symbolique d’Adama Bictogo à Yopougon

Mamadou Touré s’est déjà prononcé en 2021 en faveur d’un quatrième mandat du président. Deux ans plus tard, celui-ci continue de marteler sa loyauté mais laisse des portes ouvertes. « Si le président Ouattara décide d’y aller, il aura mon soutien total. Sinon, mon choix sera le candidat qu’il aura choisi. Quel qu’il soit, nous nous mettrons en ordre de bataille pour le faire élire », précise-t-il.

Mamadou Touré a posé des jalons pour l’avenir mais la victoire la plus médiatique, dans la commune la plus scrutée et la plus peuplée d’Abidjan, est assurément celle d’Adama Bictogo à Yopougon. Son succès est hautement symbolique, puisque le président de l’Assemblée nationale affrontait deux adversaires aux patronymes prestigieux : Michel Gbagbo pour le PPA-CI et Dia Houphouët (sans lien de parenté avec le premier président du pays) pour le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).

Pour le fringant sexagénaire, cette élection est un nouveau cap franchi. « Vous avez élu un maire, et ce maire s’appelle Bictogo Adama, s’est félicité celui-ci devant ses partisans après sa victoire. Ce maire va donc conduire le bateau Yopougon ! » Pour le mener jusqu’à quelle destination ?

En 2022, Adama Bictogo avait été rétrogradé dans la hiérarchie du RHDP, passant de la direction exécutive du parti au secrétariat exécutif. Une réorganisation aux allures de sanction après trop ouvertement laissé poindre son ambition présidentielle. Leçon retenue : 2025 « n’est pas encore à l’ordre du jour », temporise l’entourage de M. Bictogo.

Maigre bilan pour l’opposition

Autres victoires notables pour les membres du gouvernement, le premier ministre Patrick Achi s’impose dans la région de la Mé, citadelle imprenable du Front populaire ivoirien (FPI) durant la présidence de Laurent Gbagbo (2000-2011), et la ministre de la fonction publique Anne Ouloto dans le Cavally, un autre fief historique du FPI.

« Le président Ouattara a toujours voulu que ses proches collaborateurs aient un fort ancrage local, se réjouit Roger Adom, et toutes les grosses têtes du RHDP [qui se sont présentées] ont emporté ces locales haut la main. Exception faite du président du Sénat. » Ancien pilier du PDCI, Jeannot Ahoussou-Kouadio a été battu dans la région du Bélier (centre) par son ancien parti.

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Dans l’opposition, le bilan est maigre, mais le PDCI peut se consoler avec quelques belles victoires. Celles-ci sont d’autant plus cruciales que le parti n’a plus de chef depuis la mort de l’ancien président Henri Konan Bédié le 1er août. Faute de prince héritier, l’ancien parti unique se cherche un prince charmant. Sera-t-il parmi ceux qui l’ont emporté lors de ces élections, comme Jean-Marc Yacé à Cocody, riche commune résidentielle d’Abidjan, Jacques Ehouo, qui remporte le Plateau, le quartier d’affaires de la capitale économique ivoirienne, ou Patrice Kouassi Kouamé qui est parvenu à maintenir le contrôle de l’un de ses bastions, la capitale Yamoussoukro ?

La victoire des deux premiers est aujourd’hui contestée par leurs adversaires du RHDP qui ont déposé des recours et, derrière ces personnalités, d’autres ambitieux affûtent leurs armes comme l’ancien ministre et patron de Credit Suisse, Tidjane Thiam, ou l’homme d’affaires Jean-Louis Billon.

Le revers le plus cuisant de ce double scrutin est finalement celui du PPA-CI de Laurent Gbagbo. Le fils de l’ancien président, Michel Gbagbo, a été battu à Yopougon, faute d’avoir pu conclure une alliance avec le PDCI dans la commune. Autre camouflet pour Stéphane Kipré, le gendre de Laurent Gbagbo et fleuron de la nouvelle garde du parti, qui perd le Haut-Sassandra malgré son alliance avec le PDCI. Le secrétaire général du parti, Damana Pickass, a lui été défait dans le Gbôklè, et son porte-parole, Justin Koné Katinan, dans la commune abidjanaise de Port-Bouët. Après cette débâcle, une session extraordinaire du secrétariat général du parti a été convoquée, vendredi 22 septembre, dans le but de faire un aggiornamento.

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