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Les nouveaux climatosceptiques agitent le spectre d’un projet totalitaire

Le logo du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, le 12 janvier 2019.

Le climatoscepticisme est mort, vive le climatoscepticisme. Depuis la signature de l’accord de Paris, en 2015, la contestation du consensus scientifique autour de la responsabilité humaine dans le dérèglement climatique semblait s’estomper dans le débat public. Elle a pourtant ressurgi de manière spectaculaire sur les réseaux sociaux, notamment sur X (anciennement Twitter). En juillet 2022, ce type de discours était porté par 30 % des comptes actifs, selon une analyse du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

L’accélération des événements climatiques extrêmes et les records mondiaux de température en juillet n’ont guère fait reculer le mouvement. Au contraire, ce sont les climatologues qui ont entrepris de déserter le réseau d’Elon Musk, lassés de la furie contestatrice généralisée. Héritier des combats contre les restrictions sanitaires, ce renouveau des discours climatosceptiques est notamment porté par une nouvelle génération, plus engagée sur les réseaux sociaux, qui s’est approprié les discours antitotalitaires et n’hésite pas à recourir aux plus invraisemblables théories du complot.

Historiquement, les arguments niant le changement climatique ou la responsabilité humaine dans celui-ci étaient portés par trois grands types d’acteur : des lobbys industriels, des conservateurs et des scientifiques en marge de leur communauté, comme le détaillent les historiens des sciences Naomi Oreskes et Erik Conway dans le livre de référence sur le sujet, Les Marchands de doute (Le Pommier, 2012).

Dénigrer l’Etat-providence

Pour les représentants des industries polluantes, l’enjeu était d’éviter que l’Etat, convaincu de leur responsabilité dans la dégradation de l’environnement, ne régule, voire ne réduise, leur activité. Pour les conservateurs américains, il s’agissait de protéger le libre marché, pour des raisons à la fois idéologiques et clientélistes. Entre 1972 et 2005, 92 % des livres climatosceptiques anglophones édités étaient liés à des think tanks conservateurs. En France, quoique moins politisé et structuré, le mouvement empruntait les mêmes arguments que ceux qui étaient déployés pour dénigrer l’Etat-providence, analyse Antonin Pottier, maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, dans la revue Natures sciences sociétés.

Enfin, le troisième groupe de climatosceptiques était constitué de scientifiques obsédés par la menace soviétique, et convaincus que leurs homologues pacifistes et écologistes étaient des agents doubles de l’ennemi russe, défenseurs de son modèle de société collectiviste. « Ce sont des gens qui étaient dans la lutte anticommuniste et [se] sont recyclés dans la lutte anticlimatique », observe Antonin Pottier. En France, ces réflexions ont, par exemple, été reprises par l’ancien ministre Luc Ferry, qui dénonce les « khmers verts », ou par l’essayiste Christian Gérondeau, qui fustige les « pastèques, verts dehors, rouges dedans ».

Mais ces trois profils sont aujourd’hui passés au second plan. « Le climatoscepticisme “canal historique” est devenu presque ringard », observe Sebastian Dieguez, neuropsychologue à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse) et coauteur de l’ouvrage Le Complotisme. Cognition, culture, société (Mardaga, 2021).

Oublié, ou presque, le discours institutionnel qui s’exprimait en costume cravate dans les revues spécialisées et les médias. « Le climatoscepticisme contemporain est devenu intensément idéologique, relèvent les chercheurs en sciences politiques Renaud Hourcade et Albin Wagener en 2021, dans la revue Mots. Les langages du politique. Il n’est plus l’affaire des grandes majors pétrolières, mais celle de conservateurs chauffés à blanc par le sentiment d’une menace existentielle. »

Le refrain des opposants aux restrictions sanitaires

En France, où, selon l’Agence de la transition écologique, seulement 18 % de l’opinion publique conteste l’origine anthropique du dérèglement climatique, ce scepticisme se retrouve surtout au sein de l’extrême droite souverainiste à tendance conspirationniste, celle de François Asselineau ou de Florian Philippot.

Le Monde

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« Des personnalités ont profité de la pandémie pour se donner une image de défenseur des libertés contre le “système”. Elles ont construit grâce à cela des communautés numériques très puissantes sur lesquelles elles cherchent à maintenir leur influence, observe le mathématicien David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, responsable du projet Climatoscope et auteur de Toxic data (Flammarion, 2022). Cela a créé un terrain propice pour toutes les théories plus ou moins complotistes ou antisystèmes. »

En deux ans, les « influenceurs antisystème » sont ainsi passés de la dénonciation de la « dictature sanitaire » à celle de la « dictature climatique », un des termes qui ont le plus explosé sur X (ex-Twitter) chez les contempteurs du consensus, relève une publication de la Fondation Jean Jaurès. Ils voient également le passe vaccinal comme un prélude à un supposé « passe carbone », qui limiterait la liberté de déplacement des particuliers, ou agitent le spectre de « confinements climatiques », rejouant le refrain des opposants aux restrictions sanitaires.

« Les auteurs de ces discours ne se sont pas intéressés au fond du sujet, ils ne font qu’adapter les arguments », épingle Antonin Pottier, qui évoque des « slogans » plus que des analyses. Chez certains, le thème apparaît même comme un virage opportuniste. « Elpis », un compte X sous pseudonymat aux longues démonstrations techniques soi-disant expertes, devenu l’une des principales voix climatosceptiques sur le réseau social en décembre 2022, ne parlait que de vaccin six mois auparavant.

Si, pour les comptes les plus suivis, il s’agit de surfer sur les débats du moment pour conserver leur audience, les observateurs du phénomène s’interrogent quant aux motivations profondes de certains militants. Sur 10 000 comptes « climato-dénialistes » référencés par le CNRS, 60 % relaient également la propagande prorusse.

Près de la moitié ont un comportement suspect apparenté à celui de bots, des comptes automatisés, ou de trolls, des professionnels de la pollution du débat public. « On ne peut pas écarter des ingérences de puissances étrangères, juge David Chavalarias. On sait que la guerre hybride est l’une des armes préférées du Kremlin, qui cherche à diviser les populations pour déstabiliser les démocraties considérées comme dangereuses pour son pouvoir. »

Une anxiété nourrie de complotisme

Aux Etats-Unis, ces discours ont trouvé un écho tout particulier chez les militants trumpistes. En France, la crainte de projets liberticides a pu s’arrimer à d’authentiques épisodes de suspension de libertés, comme les mesures prises lors de l’état d’urgence sanitaire, ou de déni démocratique, comme la répression violente des « gilets jaunes » ou le passage en force de la réforme des retraites.

Mais ce mouvement n’est pas avare de contradictions. Alors que le covidoscepticisme critiquait abondamment « Big Pharma », ce terme désignant l’industrie pharmaceutique, ceux qui ont pris le virage climatosceptique n’ont curieusement aucun mot pour « Big Oil ». « Alors que l’on a une industrie des énergies fossiles incroyablement puissante, représentée par des gens qui ont menti pendant des décennies. C’est une débâcle intellectuelle », se désespère Sebastian Dieguez.

A la place, ils prêtent des intentions secrètement totalitaires au Forum économique mondial, rendez-vous annuel des principaux décideurs de la planète. Celui qui avait déjà été accusé de planifier une « grande réinitialisation » avec la pandémie de Covid-19 plancherait désormais, selon eux, sur une société dystopique dans laquelle le lait, la viande et les voitures seraient interdits, la monnaie aurait disparu, et les humains mangeraient des cafards. Plusieurs experts de la désinformation suggèrent d’ailleurs de ne plus parler de « climatoscepticisme », mais de « climatocomplotisme ».

Cette vision noire de la société s’accompagne d’un déni généralisé du consensus scientifique, de l’honnêteté et de la compétence des experts du climat, et même de la nature des événements météorologiques les plus frappants. « Une partie relève de la science-fiction. On nous parle de lasers ou autres technologies pour expliquer les phénomènes extrêmes ! », s’indigne Sebastian Dieguez, qui évoque un « phénomène de sécessionnisme mental quasi sectaire ». Derrière ses slogans sur la liberté en danger, le climatocomplotisme serait le nouveau barreau d’une prison mentale.

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