Close

Au Caire, la vie en sursis de la Cité des morts

Dépouilles exhumées dans la Cité des morts, au Caire, le 3 février 2022.

Des dalles de béton d’un pont autoroutier coiffent le mausolée de Taha Hussein, qui semble écrasé sous le poids de l’ouvrage. Le monument funéraire où repose l’écrivain égyptien, l’un des pères de la renaissance littéraire arabe (« Nahda »), enterré dans la Cité des morts du Caire en 1973, a été sauvé in extremis de la destruction. En mai 2022, ses descendants s’étaient alarmés de l’apparition d’une croix rouge et de l’inscription « démolition » sur le mur d’entrée. La même inscription figurait déjà sur de nombreuses tombes de la nécropole islamique, située dans le périmètre de travaux d’aménagements routiers.

Le chantier, lancé en 2020, a éventré le site, vieux de plus de 1 400 ans, inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité depuis 1979. Au pied du Moukattam, le plateau désertique qui surplombe Le Caire, il abrite les morts des débuts de l’ère islamique jusqu’à aujourd’hui. Des compagnons du prophète Mohamed et des saints de l’islam, des califes et des rois, des poètes et des petites gens ont trouvé une dernière demeure près des mausolées de l’imam Al-Shafi, le fondateur d’une école de jurisprudence islamique, et de Sayyida Nafissa, une érudite de l’islam. La crise du logement a aussi poussé plus de 2 millions d’Egyptiens à venir vivre parmi les morts.

Les autorités égyptiennes ont fait machine arrière face à la mobilisation de la petite-fille de l’écrivain. Elles ont épargné, non sans l’endommager, la sépulture de Taha Hussein. Mais des centaines d’autres tombes et mausolées ont, eux, été détruits dans les travaux menés depuis trois ans pour décongestionner Le Caire et le connecter à la nouvelle capitale administrative, dont la construction, 45 kilomètres plus à l’est, a englouti des milliards d’euros.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Egypte : « Sissi City », un mirage en construction

« Un crime contre le patrimoine »

Plus aucun quartier du Caire n’échappe aux bulldozers. Dans la métropole surpeuplée de 22 millions d’habitants, des quartiers informels en décrépitude ont été rasés et des espaces verts engloutis pour construire des ponts et des complexes immobiliers. Ils sont la marque de fabrique du président Sissi, qui s’affiche en modernisateur depuis son arrivée au pouvoir en 2013, et a fait de l’armée le maître d’œuvre de ses grands travaux. Un projet de développement du « Grand Caire 2050 », prévoyant de remplacer les quartiers informels par des espaces verts et de transférer les cimetières hors de la ville, a été ressorti des cartons.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le président Al-Sissi, chef de chantier de la « nouvelle Egypte »

Les engins de démolition ont fait leur apparition dans la Cité des morts à l’été 2020, pour tracer deux axes routiers à travers les deux plus grandes nécropoles Sud et Est. Le projet de réseau autoroutier, dévoilé fin 2021, prévoit de détruire plus de 2 700 tombes. « C’est un crime contre le patrimoine et l’histoire de l’Egypte. Le gouvernement veut tout démolir et ne laisser que 75 monuments. Il ne pense qu’au prix que lui rapportera le terrain », estime Galila El-Kadi, une professeure d’urbanisme et d’architecture, auteure d’une monographie sur la Cité des morts.

Il vous reste 65.18% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

source

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 Comments
scroll to top