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Depuis le Brexit, une immigration remplace l’autre dans l’agriculture britannique

Il vient de déposer un nouveau cageot de fraises à l’arrière de la camionnette, s’apprête à repartir pour ne pas perdre la cadence, mais il prend une minute pour expliquer sa situation. Ce jeune homme vient du Kirghizistan, où il était directeur d’un projet d’assainissement de l’eau pour le compte d’une grande banque de développement. Comment s’est-il retrouvé à cueillir des fruits rouges dans le Herefordshire, dans l’ouest de l’Angleterre ? « Je gagne ici en une semaine ce que je gagnais en un mois chez moi. Je suis ici pour l’argent. »

Dans les champs de Christine Snell, qui possède avec son mari quelque 160 hectares de plantations de fraises, de framboises, de mûres et de cassis, de nouveaux visages sont arrivés depuis quelques années. Avec le Brexit et la fin de la libre circulation des travailleurs européens, elle doit recruter plus loin, beaucoup plus loin. « Ils viennent désormais des pays en “stan” : Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan… », explique-t-elle. L’Asie centrale remplace l’Europe centrale pour lui fournir la main-d’œuvre nécessaire afin de cueillir 1 000 tonnes de fraises et de faire tourner l’usine d’emballages.

Au pic de l’été, elle a besoin de près de 300 personnes ; au creux de l’hiver, une quarantaine suffit. La plupart vivent sur place dans de grandes caravanes pour six mois au maximum, la durée de leur visa. Ils perçoivent le salaire minimal (10,42 livres, soit 12,10 euros, de l’heure), auquel s’ajoute une prime qui peut dépasser 50 % supplémentaires pour les plus productifs, en fonction de la quantité de fruits ramassés.

Ouvrières cueillant des fraises dans la ferme AJ & CI Snell, dans l’Herefordshire (ouest de l’Angleterre), le 24 août 2023.

Une subtile hiérarchie des nationalités

Dans les champs s’est désormais installée une subtile hiérarchie des nationalités. Au sommet se trouvent des Européens, arrivés avant le Brexit et ayant obtenu le settled status, qui leur donne le droit de rester au Royaume-Uni. Beaucoup, comme Ion Avram, un Roumain qui vient chez Mme Snell depuis dix-neuf ans, passent l’hiver dans leur pays d’origine et reviennent chaque été, le temps des récoltes. Sous leur contrôle se trouvent les nouveaux venus… La plupart ne parlent pas un mot d’anglais, ce qui ne simplifie pas la communication. « Je parle un peu le russe, eux aussi, et on réussit à se comprendre dans cette langue », explique M. Avram. « C’est un travail dur, mais je reviens chaque année pour l’argent », ajoute ce vétérinaire de formation, dont le fils de 6 ans attend qu’il revienne en Roumanie.

Christine Snell, copropriétaire avec son mari de la ferme de 160 hectares, dans l’Herefordshire (ouest de l’Angleterre), le 24 août 2023.

L’agriculture britannique fait face à une sévère pénurie de main-d’œuvre. « Les travailleurs immigrés ont toujours été cruciaux pour combler ce manque dans la chaîne de production alimentaire, mais en trouver devient de plus en plus difficile », alertait, en juin, John Shropshire, président de G’s Fresh, un grand groupe d’agroalimentaire, dans un rapport sur le sujet remis au gouvernement britannique. Le Royaume-Uni, souligne-t-il, n’est pas le seul pays à subir ce problème : « Nos collègues internationaux et européens font face à des obstacles similaires et étendent leurs recherches d’ouvriers au-delà des régions proches. » Mais, outre un chômage à 4 % au Royaume-Uni et les effets de la pandémie de Covid-19, qui ont poussé beaucoup de salariés à prendre leurs distances vis-à-vis du travail, « un accès réduit aux travailleurs de l’Union européenne participe à ce problème », note le rapport.

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