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« Illibéralisme », une doctrine qui défend la majorité au détriment de l’Etat de droit

Histoire d’une notion. Différents commentateurs et acteurs politiques ont dénoncé, au printemps, comme l’a fait le député européen Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts), la « dérive illibérale » du chef de l’Etat, Emmanuel Macron. En cause : son manque d’égard pour « la démocratie sociale » et son recours aux articles 49.3 et 47.1 de la Constitution pour faire adopter la réforme des retraites. L’« illibéralisme » supposé du président serait ainsi une manifestation de sa volonté de concentrer le pouvoir. Ce terme d’illibéralisme, qui se diffuse aujourd’hui dans le débat public, revêt cependant un sens différent pour les chercheurs qui tentent de le définir.

Lire aussi la chronique (2020) : Article réservé à nos abonnés « Le cancer de l’illibéralisme européen est à l’œuvre »

Marlène Laruelle, professeure à l’université George-Washington (Washington, DC), où elle dirige le programme d’études de l’illibéralisme, le décrit comme un « univers idéologique de droite qui estime que le libéralisme, entendu comme un projet politique centré sur la liberté individuelle et les droits humains, est allé trop loin. Ce rejet s’accompagne de positions politiques plus ou moins clairement établies, s’appuyant généralement sur le souverainisme et la défense de la majorité contre les minorités. La nation est conçue de façon homogène et les hiérarchies traditionnelles célébrées ».

Si ce terme est aujourd’hui beaucoup utilisé, il a été popularisé il y a un peu plus de vingt-cinq ans. En 1997, Fareed Zakaria, journaliste à CNN et fin analyste des relations internationales, publie dans la revue Foreign Affairs un article dans lequel il met en garde contre « la montée des démocraties illibérales ». Celles-ci continuent de reposer sur un régime électoral, sans toutefois respecter l’Etat de droit, le parlementarisme ou les droits humains. Fareed Zakaria pensait notamment à la Russie de Boris Eltsine ou à l’Argentine de Carlos Menem. Le journaliste se réappropriait ainsi l’adjectif « illibéral », tombé dans l’oubli depuis son apparition au XIXe siècle, lorsque le libéralisme se répandait en Europe. « Illibéral » servait alors à désigner les opinions, les auteurs, les acteurs politiques qui s’y opposaient.

Mépris des institutions internationales

Avec l’ajout du suffixe « isme », l’adjectif s’épaissit et permet de nommer une doctrine dont les contours varient selon les pays. Le rejet de l’immigration et celui des droits des minorités sexuelles en sont deux aspects répandus. D’autres ingrédients peuvent s’y mêler, notamment un mépris des normes et des institutions internationales. L’illibéralisme peut aussi amener à s’opposer au néolibéralisme économique. Plus généralement, la majorité doit pouvoir imposer ses vues, tandis que les contre-pouvoirs et l’Etat de droit sont affaiblis.

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