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Aïcha Limbada, historienne : « Au XIXᵉ siècle, la nuit de noces installe un rapport de domination du mari sur sa femme jusque dans leurs gestes les plus intimes »

Dans La Nuit de noces. Une histoire de l’intimité conjugale (La Découverte, 348 pages, 23 euros), l’historienne Aïcha Limbada, membre de l’Ecole française de Rome, étudie l’un des moments les plus secrets de la vie des hommes et des femmes du XIXe et du début du XXe siècle : la nuit qui suit la cérémonie de mariage.

Quelles sont les sources qui permettent de raconter un moment aussi intime que la nuit de noces ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, de nombreuses sources, au XIXe siècle, évoquent la nuit de noces. Une vie, le roman de Guy de Maupassant, contient la scène de nuit de noces la plus marquante de la littérature française, mais ce moment est également présent dans de nombreux romans, chansons ou pièces de théâtre, puisque la nuit de noces contrariée est une intrigue classique des vaudevilles. La première nuit est en outre représentée sur un mode léger, voire grivois, dans les cartes postales qui circulent en grand nombre.

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En dehors des productions fictionnelles, la nuit de noces figure en bonne place, au XIXe siècle, dans les manuels conjugaux de nature médicale qui donnent des conseils aux époux, mais aussi dans les études savantes de folkloristes qui observent les rites nuptiaux, les essais sur le mariage écrits par des penseurs ou les textes féministes… La recherche de témoignages directs, indispensables pour mieux cerner les expériences vécues, a été plus difficile, car habituellement les époux ne laissent pas de traces écrites sur leur propre nuit de noces. J’ai trouvé dans les archives judiciaires religieuses conservées au Vatican des récits extraordinaires produits par des femmes et des hommes qui, dans un contexte de séparation conjugale, racontent la façon dont leur nuit de noces s’était passée.

Au XIXe et au début du XXe siècle, la nuit de noces se confond-elle quasiment toujours, pour les femmes, avec la « première fois » ?

A l’époque, une minorité de jeunes filles perdent leur virginité avant le mariage en raison d’une relation sexuelle désirée, d’un viol ou d’une activité prostitutionnelle. Et, dans les classes populaires urbaines, le concubinage n’est pas rare. Mais, en principe, les femmes doivent entrer dans la sexualité au cours de la nuit de noces ; c’est d’ailleurs ce qui se passe la plupart du temps.

On n’attend pas la même chose des hommes : presque tous ont eu, avant de se marier, des expériences sexuelles avec des femmes de leur entourage ou des prostituées. Au XIXe siècle, la virginité féminine est une obsession masculine : de nombreux discours fictionnels et médicaux expriment la crainte qu’une épouse, au soir de son mariage, soit non vierge ou « demi-vierge ». Ce terme désigne, à l’époque, une femme qui a déjà eu des expériences sexuelles tout en préservant son hymen pour pouvoir donner le change pendant la nuit de noces.

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