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Classes populaires : « Cela fait vingt ans que la reconquête de cet électorat obsède la gauche sans qu’elle parvienne à trouver de solution »

La députée européenne Manon Aubry, lors des journées d’été de La France insoumise, les Amfis, à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme), le 25 août 2023.

Marion Fontaine est spécialiste de l’histoire de la crise des sociétés industrielles, des socialismes et du mouvement ouvrier. Elle rappelle qu’au-delà de la rupture des classes populaires avec la gauche, le comportement électoral le plus important de cette population est l’abstention, qui traduit « un éloignement majeur à l’égard des politiques ».

En cette rentrée, les classes populaires font l’objet d’appels du pied de nombreuses formations politiques, de la gauche à l’extrême droite. Cela fait longtemps que la gauche ne parvient plus à mobiliser la majorité de cet électorat. A quand la séparation remonte-t-elle ?

Les choses commencent à entrer en déliquescence entre la gauche et les classes populaires dans les années 1980, du fait du chômage de masse et de la désindustrialisation qui fragmente les gros bassins ouvriers puis, plus largement, le tissu industriel sur tout le territoire. Dans le même temps, les partis de gauche changent en se confrontant à plusieurs défis, que ce soit l’épreuve du pouvoir, à partir de 1981 pour le Parti socialiste, ou les effets de la chute du mur de Berlin. C’est une déliquescence sourde, dont la profondeur n’est pas immédiatement saisie. Le vrai choc, c’est le 21 avril 2002 [l’élimination de Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle], même si la crise de l’implantation ouvrière des partis et la potentielle attractivité de l’extrême droite commencent à devenir des thématiques présentes dans les années 1990.

C’est avec le 21 avril qu’il devient clair que, dans certaines zones industrialisées, comme le Nord, le candidat socialiste et le candidat communiste ne parviennent plus à attirer les voix ouvrières, ou beaucoup moins qu’avant. Avant d’être un succès de l’extrême droite, ce 21 avril est d’abord une défaite de la gauche. Celle-ci entre ensuite dans un cercle vicieux dont elle ne parvient pas à sortir : cela fait vingt ans que la reconquête des classes populaires obsède la gauche sans qu’elle parvienne à trouver de solution pour y répondre.

Bien avant, donc, la fameuse note du think tank Terra Nova, en 2011, qui dessinait les contours d’un nouvel électorat pour la gauche, féminisé, jeune, issu de l’immigration, et actait la fin de « la coalition historique de la gauche centrée sur la classe ouvrière »…

Cette note, maladroite, témoigne du désarroi politique d’une gauche qui sent que son assise sociale ancienne s’effrite et qui cherche à se trouver un autre ancrage. C’est une analyse électorale de court terme ; elle a suscité un tollé, car cela revenait à dire que la gauche devait se couper de son propre passé pour se réinventer. La note est significative, moins sur sa capacité à analyser le réel que sur les conceptions qu’elle charrie. Elle dénote en effet une vision très condescendante, visant à dire que désormais une partie au moins des classes populaires sont le réceptacle des idées conservatrices. C’est une rupture assez manifeste. Pendant longtemps, la gauche ne se contentait pas de dire qu’elle devait aider les classes ouvrières, elle pensait que l’avenir était dans les classes populaires, et que c’étaient les classes dominantes qui étaient conservatrices.

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