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Avec Charles Trenet, en 1947, et Carte de séjour, en 1986, « Douce France » pour tous

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Mercredi 19 novembre 1986, Paris. A l’Assemblée nationale, par un acte militant et malicieux, un commando pacifique comprenant Jack Lang, alors ancien ministre de la culture et député (PS) du Loir-et-Cher, Charles Trenet et Rachid Taha distribue aux députés un 45-tours de Carte de séjour, groupe de rock français formé en 1980 en banlieue lyonnaise. Des musiciens issus de la deuxième génération d’immigrés : les frères Mokhtar et Mohamed Amini (basse et guitare), Rachid Taha (chant), Djamel « Jess » Dif (batterie) et le guitariste Eric Vacquer. Sur la face A du disque figure une énergique relecture, façon rock oriental, avec guitares, derbouka, oud et paroles reprises à l’identique de Douce France, chanson comptant parmi les plus célèbres de Charles Trenet (1913-2001).

Ecrite en 1943 sur une musique composée par son pianiste, Léo Chauliac, elle ne sera enregistrée par Trenet qu’en 1947, car avant considérée comme pétainiste. Sur un tempo brodé de swing ensoleillé, avec piano, vibraphone, trompette bouchée et guitare acoustique, Trenet y chante d’une voix tendre la belle insouciance de l’enfance et roucoule d’amour pour son cher pays de France : « Oui je t’aime/ Dans la joie ou la douleur. » Des mots où peut se lire une allusion ironique au persiflage dont il est victime alors. En 1945, Trenet partira pour les Etats-Unis, las des accusations de collaboration qui le condamnent à huit mois d’inactivité à la Libération (peine ramenée à trois mois), tout en ayant dû prouver qu’il n’était pas juif, après un article paru dans l’hebdomadaire Je suis partout en 1944.

Valeur de symbole

Le chanteur ne reviendra vraiment qu’en 1954. « Douce France est la chanson de la jeunesse d’une génération gâchée par la guerre, la chanson du passage de la joie à la mélancolie, précisément la nostalgie de l’avant-guerre, analyse Serge Hureau, directeur du Hall de la chanson, à Paris. Sans doute la chanson d’un Trenet profond, à placer à côté de La Folle Complainte, ce trésor de 1945. »

Métamorphosé par Rachid Taha (1958-2018) et ses camarades, le morceau devient, en 1986, une ritournelle gaillarde dans le ton et l’intention, enregistrée pour 2 et ½, le deuxième album de Carte de séjour. Cette reprise aura valeur de symbole, dans un contexte où, après la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 (dite « marche des Beurs »), la lutte contre le projet gouvernemental de réforme du code de la nationalité et ceux voulant remettre en cause le droit du sol fait sens. Trenet avait vu ce détournement de sa chanson d’un bon œil. « Il était ravi de l’impact de la relecture par Carte de séjour », commente le producteur et éditeur Gérard Davoust, président des Editions Raoul Breton, représentant l’essentiel du catalogue de Trenet.

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