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Les sujets qui divisent les écologistes : Médine, mais aussi les actions radicales, le nucléaire, la décroissance…

Europe Ecologie-Les Verts (EELV) organise ses Journées d’été au Havre, du jeudi 24 au dimanche 27 août. L’invitation controversée du rappeur Médine, qui suscite des remous à l’intérieur du parti, n’est pas la seule ligne de fracture parmi les dirigeants et les militants, qui débattront, lors de dizaines de tables rondes et de rencontres, sur des enjeux sociétaux, économiques ou énergétiques.

L’invitation du rappeur Médine

La polémique a enflé durant la trêve estivale : l’invitation annoncée fin juillet du rappeur Médine aux journées d’été d’EELV – mais aussi de La France insoumise – a été critiquée par une partie de la classe politique, en raison d’anciennes prises de position homophobes ou antisémites. Un tweet plus récent du rappeur sur l’essayiste Rachel Kahn a amplifié les désaccords.

Ceux qui sont pour

La secrétaire nationale d’EELV, Marine Tondelier, a justifié l’invitation du rappeur en dépit de désaccords sur certaines prises de position, en raison de ses réflexions sur la convergence de luttes entre les agressions dont sont victimes les jeunes de banlieue et autres minorités, notamment LGBTQ +, et au nom de l’ouverture. « Si on ne veut que des gens qui nous ressemblent, qui ont les bons codes, on reste entre nous », expliquait-elle au Monde début août.

Interrogée le 18 août sur France Inter, Mme Tondelier a promis d’être « extrêmement attentive à ce que Médine dira » lors du débat. Elle a assuré que l’artiste a exprimé un « antisémitisme insidieux », comme d’autres personnes « qui ne prennent pas conscience de la portée de leurs propos ». La cheffe de file des écologistes a espéré que leur débat « serve au moins à faire en sorte de faire reculer l’antisémitisme » en France. Le député du Val-d’Oise Aurélien Taché « ne doute pas que [cet] échange (…) sera passionnant », regrettant au passage « les débats mortifères sur la soi-disant “gauche républicaine” ».

Ceux qui sont contre

Les maires écologistes de Bordeaux, Pierre Hurmic, et de Strasbourg, Jeanne Barseghian, ont annoncé le 21 août qu’ils ne participeraient pas aux Journées d’été en protestation contre cette invitation. « Médine a une position trop ambiguë sur l’antisémitisme », a expliqué à l’Agance France-Presse une porte-parole de la maire de Strasbourg. M. Hurmic a annoncé par communiqué qu’il « resterai[t] aux côtés des Bordelais cette semaine » pour cause de canicule, tout en affirmant que « l’antisémitisme, d’où qu’il vienne, est une infamie à combattre (…). Nous avons trop de défis à relever pour nous disperser dans de vaines polémiques ».

La députée de Paris Sandrine Rousseau a aussi exprimé son malaise : « Je pense que nous aurions pu réfléchir au fait qu’il ne vienne pas », a-t-elle déclaré sur RMC et BFM-TV, expliquant que « le tweet qu’il a fait changeait la donne ». « Il s’est excusé, j’estime que c’est un premier pas, maintenant il faut travailler avec lui pour savoir s’il a compris le caractère antisémite de ce tweet, ce qu’il n’a pas dit. »

Les actions radicales

Jets d’aliments sur des œuvres artistiques, sabotages et affrontements lors de manifestations contre les mégabassines… les moyens d’action radicaux pour alerter sur l’urgence des causes écologiques se diversifient, en franchissant parfois la frontière de la légalité, ce qui suscite des réactions diverses chez les militants et les élus.

Ceux qui sont plutôt contre

Les actions radicales ne sont pas nouvelles au sein des mouvements écologistes. A la fin des années 1990, José Bové démontait un McDonald’s à Millau pour protester contre la « malbouffe », tandis que Noël Mamère fauchait des champs de colza transgénique pour protester contre les organismes génétiquement modifiés (OGM). Des actions illégales qui avaient conduit les deux militants devant la justice.

Ces modes opératoires sont loin de convaincre l’ensemble des écologistes. Ainsi, le candidat d’EELV à la dernière élection présidentielle, Yannick Jadot, qui avait lui-même mené des actions coup de poing quand il travaillait chez Greenpeace, a qualifié les happenings dans les musées de « caricature imbécile » (avant de changer d’avis et de parler de « désobéissance civile »).

De son côté, la patronne du parti, Marine Tondelier, inscrit ce type d’actions dans l’histoire de l’écologie« Il était nécessaire de faucher des OGM, d’occuper la ZAD à Notre-Dame-des-Landes » –, mais affirme en même temps, à propos des dégradations commises par des activistes masqués dans une usine Lafarge en décembre 2022, que « ces méthodes ne sont pas celles d’EELV ».

Pour cette sensibilité plus légaliste du parti, explique l’historien Alexis Vrignon, la conquête et l’exercice du pouvoir impliquent de former des coalitions et d’opérer un lissage du discours. Selon lui, les liens entre les mouvements écologistes et le parti ont toujours été conflictuels : « Les uns et les autres se reconnaissent des points de convergence, mais jamais suffisamment pour effacer la diversité des positions et des répertoires d’actions. »

Ceux qui sont plutôt pour

Réagissant au mauvais accueil fait à Yannick Jadot à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), la députée Sandrine Rousseau estimait qu’il fallait qu’il « entende que là, on a besoin d’aller et de retrouver une écologie de combat qui a été l’écologie pendant des années ». « Je pense qu’il est bien qu’il y ait des militants qui occupent les terrains (…) pour signifier que ces projets-là nous envoient dans le mur », a déclaré la parlementaire.

Le Monde

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Derrière elle, on retrouve une mouvance impatientée par l’inaction du gouvernement. Figurent parmi eux certains élus, comme Pauline Rapilly-Ferniot, la Boulonnaise ayant participé à l’installation d’un potager sur le golf de Saint-Germain-en-Laye (Yvelynes), mais aussi des scientifiques sympathisants de la cause écologiste et des membres de plusieurs collectifs.

C’est le positionnement des Soulèvements de la Terre, qui assument, dans une tribune signée par une centaine d’adhérents et d’élus d’EELV s’« être aussi parfois joyeusement munis de cutters, de marteaux ou de sécateurs pour autre chose que pour bricoler » (comprendre : pour saboter des installations). Ou d’Extinction Rebellion, qui revendique 22 000 militants en France, dont une frange juge qu’il « ne suffit plus de voter » et a récemment décidé de répandre de la peinture sur les banques finançant les énergies fossiles. Aucun de ces acteurs n’appelle à la violence contre les personnes.

Lire la synthèse : Article réservé à nos abonnés Chez les militants écologistes, la tentation du sabotage

Le nucléaire

Alors que les parlementaires écologistes étaient vent debout contre le projet de loi d’accélération de la construction de réacteurs nucléaires, voté en juin, des voix discordantes se font entendre chez les militants, influencés notamment par Jean-Marc Jancovici. Pour l’ingénieur et consultant, auteur de la bande dessinée à succès Un monde sans fin (Dargaud, 2021), le nucléaire « évite toujours plus de risques qu’il n’en crée » et constitue la seule façon d’amortir la décroissance nécessaire.

Plutôt contre

Historiquement, les luttes antinucléaires ont joué un rôle fondateur dans l’émergence du mouvement écologiste en France. Cette tendance s’est confirmée après l’accident de Fukushima en 2011 – qui a rendu le débat sur le nucléaire « impossible » au sein du parti, selon l’ingénieur Thierry Caminel, ancien militant des Verts.

« L’engagement en faveur de la sortie du nucléaire » est aujourd’hui inscrit dans les statuts d’EELV, dont le conseil fédéral a réaffirmé en avril l’« opposition à l’énergie nucléaire » comme « valeur fondamentale du parti ». Militant antinucléaire convaincu, Yannick Jadot a défendu, pendant la campagne présidentielle de 2022, le maintien du parc nucléaire existant « le temps que le réseau s’équilibre » et intègre une part suffisante d’énergies renouvelables, pour sortir du nucléaire d’ici 2040 à 2050.

L’ensemble des députés et sénateurs écologistes ont également voté contre le projet d’accélération du nucléaire, en janvier et mars. « Nous savons que, compte tenu du retard pris sur l’efficacité énergétique et sur les renouvelables, nous n’allons pas pouvoir nous passer du nucléaire existant », a convenu le sénateur d’Ille-et-Vilaine, Daniel Salmon, dans Le Journal du dimanche. Mais « il y a urgence à ne pas relancer » une filière qui serait trop coûteuse et trop dangereuse, au regard des incertitudes climatiques des prochaines décennies, en particulier à cause du besoin en eau des centrales pour leur refroidissement.

Plutôt pour

Au moment où la guerre en Ukraine affecte l’approvisionnement énergétique de l’Europe, l’atome retrouve de son lustre dans le débat public, y compris chez les écolos. Selon un sondage de novembre 2022, les sympathisants d’EELV se disent à 49 % favorables au développement de nouvelles capacités nucléaires pour compenser le démantèlement ou la réparation des réacteurs actuels – 3 % préfèrent même le développement de centrales sur celui d’énergies renouvelables. En face, seuls 46 % se positionnent pour une réduction progressive du nucléaire.

Pour Thierry Caminel, cette évolution de l’opinion influe sur les débats au sein du mouvement écologiste : « On peut à nouveau évoquer la place du nucléaire et tenter de convaincre que l’éolien et le solaire ne suffiront pas », explique l’ancien militant dans un entretien au site GoodPlanet.

Même si les élus ouvertement pronucléaires restent ultramarginaux, cette bascule commence à se répercuter timidement chez EELV. Ainsi, le conseiller de la Métropole de Lyon Nicolas Barla ne cache pas ses divergences sur le sujet, assurant en 2020 que les positions antinucléaires ne sont « plus hégémoniques au sein du parti ». Les jeunes en particulier seraient sensibles, davantage qu’aux problèmes de sûreté, à des notions de justice sociale comme l’approvisionnement en matières premières dans les pays pauvres : « Nous luttons plutôt contre la prédation des pays du Nord sur les ressources minières des pays du Sud, et en particulier en Afrique », expliquait, en 2022, la codirigeante des Jeunes écologistes, Camille Hachez, au site Reporterre.

La décroissance

Prudents quant à des mesures qui pénaliseraient les classes moyennes et cliveraient une partie de leur électorat, les écologistes ont opéré un changement sémantique, parlant plus volontiers de « post-croissance »… pour les plus radicaux d’entre eux.

Plutôt pour

L’abandon de la course à la croissance et l’adoption d’une frugalité choisie sont portés depuis 1972 et le rapport Meadows par une frange des écologistes, qui en fait un point central de la lutte contre le dérèglement climatique. Ainsi, pour Delphine Batho, candidate malheureuse à la primaire écologiste de 2021, la décroissance « est la seule voie réaliste ».

De son côté, Sandrine Rousseau expliquait, en 2021, qu’il faudrait à l’avenir « évidemment diminuer le volume de nos consommations ». Pour l’élue écoféministe, il faut entrer dans une société de « post-productivisme », de « post-croissance ».

C’est d’ailleurs ce dernier terme qui a été retenu pour créer en 2018 une commission qui expliquait ce changement de terme : « EELV se réfère depuis des années au terme de “décroissance de l’empreinte écologique”. Par “post-croissance” [le conseil fédéral] entend un projet de société à construire. »

Dans le fond, le logiciel semble inchangé puisque cette commission revendique que « dans les termes et les concepts du système économique actuel, cela revient à dire qu’il devra y avoir une phase de décroissance pour retrouver un équilibre dynamique ».

Plutôt contre

Si la décroissance entendue comme réduction de l’impact de l’activité humaine sur l’environnement pourrait fédérer en théorie une large partie des écologistes, le terme suscite la prudence chez de nombreux responsables EELV. Le maire de Grenoble, Eric Piolle, refuse ainsi de choisir une « religion » entre « croissantis[m]e » et « décroissantis[m]e », quand Yannick Jadot prend des pincettes au moment d’utiliser le terme. Beaucoup lui préfèrent celui de « sobriété », qui permet de cibler des secteurs dont il faut réduire l’activité (« sobriété énergétique », « sobriété numérique », etc.).

Derrière la querelle sémantique pointe un débat sur l’économie de marché, dont une partie des écologistes ne sont pas près de s’émanciper. M. Jadot déclarait ainsi en 2021 : « Une boulangerie c’est une entreprise ; une librairie c’est une entreprise ; un paysan bio a des aides publiques, il y a un cadre réglementaire, mais à un moment donné il vend sur un marché, il ne vend pas à un kolkhoze. »

Selon certains, les mécanismes de marché sont en effet nécessaires pour financer le progrès technologique nécessaire à la transition verte. L’Agence nationale pour la transition écologique (Ademe) mêle par exemple innovation technique et sobriété dans ses quatre scénarios vers la neutralité carbone en 2050. « Il faut sortir des visions caricaturales. Ce ne sont pas les décroissants contre les techno-optimistes. Il y a deux manières de réduire la demande d’énergie et nos émissions : la sobriété et l’efficacité énergétique », résume son directeur général, Fabrice Boissier, dans un entretien à Franceinfo.

Enfin, la décroissance suscite d’autant plus de réticences que la situation économique et sociale est dégradée. Dans une tribune au Monde, Delphine Batho analysait en décembre 2022 : « Les mots d’ordre de hausse du pouvoir d’achat et de relance de la consommation se sont imposés au sein de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale. » Pour la présidente de Génération écologie, « l’écologie politique française n’a jamais assumé la décroissance. (…) A chaque coup dur dans la vie du pays, l’obsession pour la croissance prend le dessus sur l’enjeu écologique ».

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