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Guillaume Cabanac, le Sisyphe de la dépollution de la science

A-t-on déjà vu un Sisyphe heureux ? Oui, et il s’appelle sûrement Guillaume Cabanac. Ce professeur d’informatique à l’université Toulouse-III Paul-Sabatier se livre chaque jour, patiemment, à une tâche rébarbative, quasi sans fin, mais qui lui procure plaisir et reconnaissance académique.

Quotidiennement, il plonge dans les milliers d’articles scientifiques publiés. Il ne cherche pas les meilleurs d’entre eux, mais au contraire les pires. Ceux qui sont « pollués » par diverses mauvaises pratiques qui minent la confiance dans la science. Il remonte ainsi dans ses filets des plagiats, des articles écrits avec l’aide de générateurs de texte (bien avant la folie ChatGPT), des articles usurpant des signatures, des productions qui référencent des articles déjà connus comme pollués…

Sa spécialité est d’avoir développé le concept de « phrases torturées », c’est-à-dire des expressions qui ont l’air scientifiques mais que les spécialistes n’utilisent pas. La méthode « Bayes naïve » devient « Bayes crédule », l’intelligence artificielle se transforme en « conscience contrefaite ». Un « algorithme génétique » mute en « calcul héréditaire »… Plusieurs utilisations de ces expressions suspectes, au moins cinq, sont l’indice que l’article a peut-être été plagié ou généré par un algorithme et que des synonymes ont été inventés pour leurrer les logiciels de détection.

Le radar que Guillaume Cabanac a élaboré, le Problematic Paper Screener, recensait, début juillet, plus de 14 300 articles épinglés, depuis son lancement en 2021, grâce à neuf « détecteurs » : phrases torturées, références problématiques, recours à des logiciels de génération de textes…

Ni un chevalier blanc ni un policier de la pensée

« Je reste scandalisé par ces situations », tranche l’informaticien de 41 ans, qui s’inquiète quand même des conséquences que son travail et sa diffusion pourraient avoir sur la perception que le public a de la science. « Il faut dire que la plupart des plages sont propres, mais qu’il faut en nettoyer certaines », illustre-t-il. Il s’inquiète aussi de l’étiquette qu’on pourrait lui affubler. « Je ne suis ni un chevalier blanc ni un policier de la pensée. Détective ou limier en tromperie scientifique ou dépollueur des publications me conviennent mieux. On est là pour corriger la science. »

Et cela le rend plutôt heureux. En juin 2021, quatre de ses collègues l’embarquent dans leur projet récemment financé par le Conseil européen de la recherche (ERC), Nanobubbles. Son but est justement d’étudier comment la science se corrige et comment, parfois, elle échoue à le faire, lorsque les éditeurs ou auteurs n’agissent pas pour reconnaître les erreurs ou les fautes. Sur Twitter (devenu X), il n’hésite pas à se moquer d’eux et à demander avec humour le versement des frais de publication à des associations. Depuis octobre 2022, il est aussi titulaire d’une chaire à l’Institut universitaire de France sur le thème de la « décontamination » de la littérature scientifique. « Cela légitime cette activité de recherche et me donne des moyens pour la poursuivre », apprécie le chercheur.

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