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« Une des forces de “Barbie” est de refonder la possibilité du premier degré »

C’est un exploit historique qu’a réalisé Greta Gerwig avec Barbie, devenu, dès le 6 août, le long-métrage le plus rentable réalisé par une femme. Le film appartient ainsi déjà, par l’accueil que lui a fait le public, à cette histoire féministe des grandes figures et des précurseuses. Pourtant, même s’il avait fait un bide, Barbie aurait été un film féministe – en tout cas, aussi féministe que possible.

Lire la critique : Article réservé à nos abonnés « Barbie », une poupée noyée dans la dérision kitsch

Il faut en revenir aux origines. La poupée emblématique de Mattel est plus qu’un symbole : elle est un véritable mythe, digne des Mythologies, de Roland Barthes. La firme a fixé les formes d’un idéal féminin impossible à atteindre – et prompt à provoquer des troubles alimentaires. Barbie est un des emblèmes les plus connus du capitalisme et du soft power étatsunien ; pis, la poupée incarne le backlash subi par les femmes qui, Susan Faludi l’a montré, remplace l’oppression légale par de nouveaux standards inatteignables. Barbie incarne et contredit l’émancipation acquise, entre autres, par l’accès au travail rémunéré représenté dans tous les métiers faits par Barbie.

Barbie, une féministe en plastique ? C’est précisément le point de départ de Greta Gerwig. Le film le souligne dès sa scène inaugurale, un pastiche de 2001, l’odyssée de l’espace (1968), de Stanley Kubrick, dans lequel ce sont des petites filles qui jouent avec des poupons, quand le monolithe est remplacé par la première Barbie, en format monumental. Barbie est présentée par la voix off comme un modèle de féminisme pour avoir fait passer les petites filles du maternage domestique à la vie professionnelle. Cela, c’est ce que pensent les barbies, inconscientes de l’écart entre leur univers idéal et le monde réel. Pourtant, leur monde est bientôt contaminé par les tristes réalités humaines – pieds plats et cellulite en premier lieu… Autrement dit : l’idéal du féminisme libéral est un leurre, et c’est justement le sujet du film.

Bas instincts voyeurs

Barbie reprend la stratégie ancienne de la représentation inversée : la misandrie dont sont victimes les kens, délaissés par des barbies plus intéressées par les soirées entre filles, rappelle en changeant les genres le statut accessoire des femmes au cinéma. Barbieland représente un monde renversé, ce qui le rend amusant (c’est la misandrie ironique) ou choquant (à qui aurait besoin de comprendre ce qu’est le sexisme) : le film joue ainsi de ce que la théoricienne britannique Laura Mulvey a appelé, en 1975, le male gaze. Ce « regard masculin » désigne la propension qu’a le cinéma à flatter les bas instincts voyeurs du public, pensé comme masculin.

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