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Le biais de disponibilité : les risques de raisonner d’après sa seule mémoire

Dans une expérience menée en 1978, l’équipe du psychologue américain Paul Slovic a demandé aux participants de choisir entre deux causes de mort (AVC et foudre, ulcère et noyade…) celle qui leur semblait la plus fréquente. Les répondants choisissaient la leucémie plus que la chute accidentelle : pourtant, les chiffres attestent de l’inverse. « L’erreur peut découler du caractère dramatique de la leucémie et de la plus grande couverture médiatique dont elle bénéficie, ou cela peut provenir du fait que les chutes accidentelles sont courantes mais généralement non mortelles, expliquent les auteurs. Des événements faciles à imaginer ou à mémoriser peuvent être surestimés. A l’inverse, ceux dont on parle peu dans les journaux et qui ne vont pas particulièrement retenir l’attention sont susceptibles d’être sous-estimés. »

Cet exemple montre combien le seul recours à notre mémoire ou à notre attention pour raisonner peut nous jouer des tours (même si cela peut se révéler efficace pour résoudre un problème avec un effort cognitif minimal). Les chercheurs ont aussi constaté que les pensées effrayantes nous viennent avec facilité, et que plus les évocations de danger sont aisées et vivantes, plus elles exacerbent la peur.

Ce phénomène est net lors des campagnes de désinformation : si les rumeurs d’enlèvements d’enfants dans des camionnettes blanches sont si tenaces, c’est notamment parce que des affaires criminelles majeures (Dutroux, Fourniret…) ont ancré ce mode opératoire dans l’esprit du public, mais aussi parce que la majorité des camionnettes sont blanches (ce sont les moins chères), ce qui rend plus probable, plus représentable aussi pour le cerveau, un enlèvement dans une camionnette blanche que dans un véhicule vert ou orange.

Les événements marquants, dramatiques ou personnels prévalent

Dans son ouvrage de référence Système 1, système 2. Les deux vitesses de la pensée (Flammarion, 2012), le psychologue israélo-américain Daniel Kahneman résume la puissance de ce biais de disponibilité : « La confiance qu’ont les individus dans leurs convictions dépend essentiellement de la qualité de l’histoire qu’ils peuvent raconter sur ce qu’ils voient, même s’ils ne voient pas grand-chose. Souvent, nous ne prenons pas en compte le fait que des informations qui devraient peser d’un poids crucial sur notre jugement nous font défaut – on tient compte de ce qu’on voit et rien d’autre. »

La partie de notre cerveau le plus souvent active, que Kahneman appelle le « système 1 », est particulièrement douée pour tisser la meilleure histoire possible intégrant les idées en cours d’activation, et n’a pas de place pour les informations dont elle ne dispose pas. Certaines informations bénéficient d’une meilleure assimilation : des événements marquants (par exemple, le divorce d’une célébrité), dramatiques (un fait divers impliquant des enfants) ou personnels. Ajoutez à cela une difficulté à raisonner avec des statistiques, et l’on comprend pourquoi les anecdotes personnelles prennent beaucoup de place lorsque nous tentons d’aborder un problème plus vaste. Si on pense au climat, ce qui nous vient en tête en premier concerne la météo, un biais sur lequel surfent allègrement les climatosceptiques.

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