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Marie-Anne Paveau, linguiste : « Les émojis, les gifs et les mèmes redonnent une dimension visuelle à la conversation en ligne »

Marie-Anne Paveau est professeure en sciences du langage à l’université Sorbonne-Paris Nord, autrice de L’Analyse du discours numérique. Dictionnaire des formes et des pratiques (Hermann, 2017). Elle a travaillé sur les discours numériques natifs, notamment ceux produits sur les interfaces de communication offertes par les réseaux sociaux.

Se dit-on les mêmes choses, et de la même manière, dans les relations amicales en ligne et hors ligne ?

De telles études comparatives n’existent pas. On peut remarquer en revanche que, dans la vie courante, les amitiés se nouent et s’entretiennent essentiellement à l’oral ; tandis qu’en ligne, que ce soit sur le Web ou sur les médias sociaux numériques, les interactions se font encore largement à l’écrit, malgré l’utilisation croissante des vocaux. La différence entre nos discours amicaux en ligne et hors ligne recoupe donc essentiellement celle entre communication orale et écrite.

Ce ne sont pas les mêmes codes ni la même grammaire : à l’écrit, la temporalité et le débit ne sont pas les mêmes, et cela induit une manière de communiquer plus réfléchie, plus construite. Du même coup, l’écrit permet par exemple d’accorder un plus grand soin à l’image de soi dans une conversation.

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On rédige pourtant différemment une lettre manuscrite ou un message WhatsApp. L’écrit sur les réseaux a-t-il des spécificités ?

Sur les réseaux, on peut effectivement répondre du tac au tac, très rapidement, et on constate donc des formes d’oralité dans l’écrit. Mais cette oralisation a précédé l’émergence et l’utilisation des médias sociaux numériques. Dès les années 2000, le sociolinguiste britannique Norman Fairclough avait déjà proposé la notion de « conversationnalisation » pour désigner la tendance croissante à écrire comme on parle.

On peut trouver une spécificité en revanche dans le fait que, sur le Web ou sur les réseaux, la langue n’est plus faite que de mots, de phrases, de discours. Elle est également constituée de technologie : l’interface nous pousse, par exemple, à abandonner les majuscules en début de phrase ou les accents, car les ajouter est plus laborieux. Elle propose en outre un correcteur automatique, avec tous les accidents, heureux ou malheureux, que cela suppose.

Enfin, à l’écrit en général et sur Internet en particulier, il manque toutes les informations apportées à l’oral par les mimiques, la posture, la gestuelle. C’est là qu’interviennent les émojis, les gifs ou les mèmes : ils redonnent une dimension visuelle à la conversation en ligne, et permettent ainsi d’ajouter du sens, de réduire les ambiguïtés. Toutes ces dimensions − l’oral et l’écrit, le visuel et le technologique − rendent la conversation numérique extrêmement riche et complexe.

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