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Avec la technique de la « situation étrange », le sentiment de sécurité des bébés évalué

C’est un mini-drame en huit actes, dans le décor d’une salle de laboratoire. Une femme feuillette un magazine. Son bébé joue à ses pieds. Entre en scène une inconnue, qui entame la conversation, puis la mère s’absente, confiant son bébé à la nouvelle venue. Quand elle réapparaît, l’inconnue s’éclipse à son tour, si bien qu’un second départ de la mère laisse le bébé seul. Finalement, l’inconnue puis la mère font leur retour. La séquence entière dure une vingtaine de minutes, au cours desquelles deux psychologues postés derrière un miroir sans tain murmurent des observations dans un dictaphone, relevant toutes sortes d’indications sur le comportement de l’enfant.

Un lieu non familier, un nouveau visage, des séparations… Avec son crescendo d’« indices de danger » propres à déclencher chez un bébé de 9 à 18 mois le besoin de se rapprocher d’un adulte protecteur, ce dispositif expérimental évalue la qualité du lien d’attachement de l’enfant à la personne qui s’en occupe. Depuis les années 1970, la séquence a été jouée et rejouée des milliers de fois dans le cadre de recherches universitaires ou de programmes d’intervention dans la petite enfance. Elle a permis de mesurer les effets délétères de la vie dans les orphelinats roumains. Elle a changé les pratiques de soins nocturnes des bébés dans les kibboutz israéliens. « L’une des meilleures études a été réalisée dans un village de montagne pauvre du Mexique, où les chercheurs ont installé un laboratoire dans l’école », souligne Alan Sroufe, un professeur émérite de psychologie de l’enfant à l’université du Minnesota qui a formé à la procédure environ 900 professionnels des six continents. Selon lui, la psychologue américaine Mary Ainsworth (1913-1999) aurait mérité un prix Nobel pour l’invention de cet outil universel qu’elle avait baptisé la « situation étrange ».

Nous sommes alors en 1950. A l’époque, une femme suit son mari, quand bien même serait-elle titulaire d’un doctorat, et c’est ainsi que Mary Ainsworth se retrouve à parcourir les offres d’emploi dans un journal londonien. La célèbre Tavistock Clinic, un centre de thérapie psychanalytique de pointe, recrute une assistante pour un projet de recherche sur les conséquences des séparations maternelles dans les premières années de la vie. Son directeur, John Bowlby, vient d’être chargé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’un rapport sur les besoins des orphelins de guerre et des enfants déplacés. Elevé par des gouvernantes, puis envoyé en pension à l’âge de 7 ans, ce psychiatre qui n’a manqué de rien sauf d’affection parentale a constaté que les bébés séparés de leur mère, même le temps d’une hospitalisation, vivent un deuil profond. Avec l’aide de Mary Ainsworth, il livre à l’OMS une recommandation de 200 pages sur les effets à long terme de cette carence, Soins maternels et santé mentale (1951), qui sera traduite en quatorze langues.

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