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Les pièces d’échecs de Pineuilh ou la France aux alentours de l’an mille

Pion d’échec en os animal datant du XIᵉ siècle et découvert à Pineuilh (Gironde).

Si vous voyagez dans le Sud-Ouest entre Bordeaux et Bergerac, vous emprunterez la D936. La route contourne par le sud la petite agglomération de Sainte-Foy-la-Grande (Gironde). Là, sur la commune de Pineuilh, vous roulerez sans le savoir sur un magnifique site archéologique. « On se trouve sur un des anciens bras morts de la Dordogne », précise Frédéric Prodéo, de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), qui, pendant dix mois, à cheval sur 2002 et 2003, fut responsable d’une fouille épique. Epique en raison des conditions de travail difficiles, dans l’eau et la boue, qui ont obligé à pomper en permanence et à creuser des fossés de drainage. Mais cette plaie était aussi un bonheur : le site, une ancienne demeure médiévale, s’était « effondré dans un milieu tourbeux marécageux, ce qui a favorisé la conservation des matériaux organiques, et en particulier les bois d’architecture », souligne Frédéric Prodéo.

Grâce à la dendrochronologie, méthode de datation qui s’appuie sur l’étude des cernes d’arbres, les archéologues ont reconstitué avec précision l’histoire de cette demeure. Sa construction commence en 975. Entourée pour partie par des douves et pour partie par la rivière, cette petite butte au milieu de l’eau est reliée à la rive par une passerelle. Remanié en 1044, le site change d’affectation vers la fin du XIsiècle pour devenir une sorte d’enclos. Mais qui avait construit et habité cette demeure auparavant ?

Le très abondant mobilier retrouvé ne laisse pas de doute sur la fonction et le statut du site. Des objets communs, de la vaisselle en céramique, des assiettes en bois, des outils destinés au défrichage ou aux travaux des champs : on est chez une personne liée au travail de la terre. Mais il ne s’agit pas d’un pauvre paysan.

Un très rare pion en os

« On a aussi du matériel d’équitation, explique Frédéric Prodéo, comme des étriers, une selle en bois, des fers à cheval, des boucles de harnachement, un mors. Cela place le personnage dans la gent chevaleresque, dans un rang social relativement élevé. » Et ce n’est pas tout. Ont été mis au jour des éléments de jeux de société qui attestent, eux aussi, d’une élite. Des pions de tric-trac, mais aussi deux pièces d’échecs : un roc (qui correspond à la tour moderne) en bois de cerf et un très rare pion en os représentant un homme agenouillé.

Ajoutons à cela des olifants et des armes (carreaux d’arbalète, couteaux, dagues, lances à ailettes). Notons la présence d’un boisseau, un récipient dont la fabrication était très réglementée, car il servait à percevoir une redevance en grains. Ecoutons Frédéric Prodéo dire que les habitants du lieu « mangeaient énormément de cochons de lait, ce qui est un apanage aristocratique : dans les classes plus basses on attend que le cochon soit plus gros ». Se dessine ainsi le portrait-robot de ce que l’on a appelé « chevalier paysan ». Quant au site de Pineuilh, qui fera, à l’automne, l’objet d’une vaste monographie, il s’impose comme un témoin majeur de la naissance du féodalisme en France, aux alentours de l’an mille.

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