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Législatives : l’abstention guette à Clichy-sous-Bois entre désintérêt et rejet des politiques

Dans cette commune de Seine-Saint-Denis, où LFI est arrivé largement en tête du scrutin européen, l’abstention dépasse les 70 %. À l’approche des législatives, des militants tentent de mobiliser les électeurs qui ne croient plus guère en la politique.

Des centaines de personnes sont rassemblées sur la pelouse jouxtant la mairie, dimanche 23 juin, pour la fête de la ville, à Clichy-sous-Bois, située au nord-est de Paris. Des dizaines de stands s’étalent, des structures gonflables, une scène de musique, des démonstrations de sports de combat… Devant un chapiteau, la flamme olympique s’est même invitée, en ce jour de fête, dans cette commune emblématique de la banlieue parisienne.

Sous un soleil généreux, seules quelques personnes font la queue en ce milieu d’après-midi pour se prendre en photo avec le symbole des olympiades. Les jeux gonflables, qui donnent à la fête un air de parc d’attraction, attirent davantage. Ils hypnotisent les nombreux enfants qui tirent leurs parents par la manche. Clichy-sous-Bois fait partie des communes les plus jeunes du département de la Seine-Saint-Denis. Un habitant sur deux a moins de 30 ans, selon l’INSEE.

Des habitants de Clichy-sous-Bois et des communes voisines se font prendre en photo avec la flamme olympique de passage dans la ville, le 23 juin 2024.
Des habitants de Clichy-sous-Bois et des communes voisines se font prendre en photo avec la flamme olympique de passage dans la ville, le 23 juin 2024. © France 24

Mais, la ville est aussi connue pour ses taux d’abstention record. Et celui des élections européennes du 9 juin n’a pas faire mentir la règle. Moins de 30 % des personnes inscrites sur les listes ont voté il y a trois semaines, en cette journée qui a vu le RN arriver en tête du scrutin en France avec plus de 31 % des voix.

« L’abstention ne m’a pas étonné », raconte Mehdi Bigaderne, adjoint à la mairie de Clichy-sous-Bois et cofondateur d’ACLEFEU, une association créée au lendemain des émeutes qui ont violemment secoué la banlieue parisienne en 2005. « On s’attendait à plus d’abstention à vrai dire [75 % d’abstention lors de l’élection européenne de 2019].  Malheureusement on a du mal à mobiliser ». L’élu se souvient des élections présidentielles de 2022, où l’association a fait tourner une caravane dans la ville avec un haut-parleur pour appeler à voter. Au 2e tour de ce scrutin présidentiel, l’abstention était de 51,66 %. 

« Voter c’est exister »

En attendant, sur le stand de l’association en ce jour de fête, figure un gros paquet de formulaires pour les demandes de procuration pour les législatives du 30 juin et du 7 juillet. Un document à déposer ensuite dans un commissariat pour enregistrer les demandes de délégation de vote. Des tracts sont distribués pour savoir « comment voter », en rappelant que « voter c’est exister ».

Sur le stand de l'association, Mehdi Bigaderne, élu à la mairie de Clichy-sous-Bois et co-fondateur d'ACLEFEU propose des documents pour effectuer sa procuration, le 23 juin 2024.
Sur le stand de l’association, Mehdi Bigaderne, élu à la mairie de Clichy-sous-Bois et co-fondateur d’ACLEFEU propose des documents pour effectuer sa procuration, le 23 juin 2024. © France 24

« J’étais président de bureau de vote au Chêne Pointu (le quartier le plus pauvre de la ville), j’ai vu des dizaines de jeunes adultes qui sont venus, qui voulaient voter, mais qui, malheureusement, n’étaient pas inscrits sur les listes. Ça pose la question aussi de l’information et de la communication autour des inscriptions. Et en tant qu’acteur associatif, ça relève de notre responsabilité, mais aussi celle de l’institution », regrette Mehdi Bigaderne. « On s’est concentrés sur une vidéo pour inciter à voter, on va diffuser ce spot sur les réseaux sociaux parce que c’est le moyen de communication qui marche le mieux, auprès des jeunes notamment ».

Un peu plus loin, sur le stand du club d’athlétisme, Badiallo, qui a fêté ses 18 ans il y a moins d’un mois, raconte qu’elle a découvert au lendemain des européennes du 9 juin qu’elle était inscrite sur les listes. « Après les résultats, j’ai vu des influenceurs comme Crazy Sally ou Squeezie qui disaient que même si on n’avait pas de carte d’électeur, on pouvait voter si on était sur les listes et ils donnaient un lien pour vérifier. Alors je suis allée voir. »

La jeune fille est bien décidée à aller voter cette fois-ci. « Ça m’a fait un déclic. Je ne pensais pas que le RN passerait avec autant de facilité. Leur programme met en danger nos libertés en tant que femmes« . Badiallo suit plusieurs comptes féministes sur les réseaux sociaux et cite notamment une vidéo publiée par Period studio, un média en ligne de Loopsider qui a décrypté le clip que le président du RN, Jordan Bardella, a adressé aux Françaises le 17 juin pour tenter de les rassurer sur leurs droits.

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Dans sa famille, seul son grand frère vote. Pas ses parents car ils n’ont pas la nationalité française. Badiallo ne sait pas encore vers quel candidat se tourner. « Je vais éplucher les programmes et ce que je vais regarder de près c’est ce qui est proposé pour les étudiants parce qu’il y a certains jeunes qui ne peuvent pas se nourrir, ni se loger. La précarité étudiante, ça me fait peur parce que je vais devenir étudiante et ma sœur va bientôt finir le lycée », poursuit la jeune fille qui vient tout juste de recevoir la réponse à sa demande Parcours sup. Elle ira en classe préparatoire économique et commerciale.

Badiallo, 18 ans, veut voter pour la première fois pour faire barrage au RN lors des législatives, le 23 juin 2024.
Badiallo, 18 ans, veut voter pour la première fois pour faire barrage au RN lors des législatives. © France 24

À ses côtés sur le stand, Ibrahima, 20 ans, cherche un emploi et se demande s’il a bien choisi sa spécialisation dans la vente. Il n’a pas eu le temps d’aller glisser son bulletin dans l’urne, confie-t-il : « J’avais des rendez-vous ce jour-là. Je ne sais pas si j’irai pour les législatives. J’irai faire un tour au bureau de vote, je crois savoir où il se trouve ». La politique ne l’intéresse pas. Son truc c’est le sport. L’athlétisme et le kayak surtout, qu’il va pouvoir aller voir aux JO de Paris 2024 grâce à une amie qui a obtenu des places. « On va encourager tous les pays, on va donner de la force et montrer que nous, les Français, on sait accueillir le monde », dit-il.

Ibrahima, 20 ans, n'a pas voté lors des Européennes. Il se désintéresse des questions politiques.
Ibrahima, 20 ans, n’a pas voté lors des européennes. Il se désintéresse des questions politiques. © France 24

« Je suis déjà partie dans ma tête »

Un peu plus loin, Amina, 36 ans, discute avec des voisins tout en gardant un œil sur ses deux enfants. Cette mère célibataire, qui vit ici depuis l’enfance, va voter pour faire barrage au RN, mais elle comprend les abstentionnistes. « Rien ne change et Macron nous a déçus », explique-t-elle. « Sa loi immigration a ouvert la porte au RN ».

Française d’origine nord-africaine, musulmane et voilée, elle se sent rejetée. « Dans ma tête, ça fait longtemps que je suis déjà partie. Je n’attends plus rien de personne. On m’a fait comprendre que je n’étais pas française, alors aujourd’hui, je ne suis plus attachée », dit-elle. Elle cherche depuis quelques temps à installer sa famille dans un autre pays. « Mon père, on est allé le chercher pour venir travailler en France. J’ai grandi avec l’école de la République, je me suis toujours sentie française. Mais s’il faut partir on partira. J’ai arrêté de me battre, je suis fatiguée. Si la France veut se construire sans nous, on va partir et il ne faudra pas venir nous chercher dans quelques années parce qu’il va falloir repeupler le pays ».

Devant un stand de maquillage, une grand-mère accompagne son petit-fils, trépignant d’impatience. Cette employée dans le milieu médical ne se souvient plus de la dernière fois qu’elle a voté. « Il fut un temps, j’allais chercher dans les programmes, je me prenais la tête pour choisir le candidat. Mais ça ne change rien ! Ces élus ont trop d’ambitions personnelles et pas assez pour notre pays. Parfois, il faut que le feu soit là, pour qu’on reconnaisse enfin que ça brûle », dit-elle d’un ton convaincu.

La fête de la ville a rassemblé des centaines d'habitants de Clichy-sous-Bois et des communes environnantes, le 23 juin 2024.
La fête de la ville a rassemblé des centaines d’habitants de Clichy-sous-Bois et des communes environnantes, le 23 juin 2024. © France 24

Des familles avec des dossiers de surendettement

Clichy-sous-Bois a connu de grand aménagements urbains ces vingt dernières années, après les émeutes urbaines de 2005, qui ont suivi la mort de deux enfants dans un transformateur EDF, après une course poursuite avec la police. Le paysage de la ville a changé avec l’arrivée d’un tramway en 2019. Le métro est attendu pour 2026. Un conservatoire a été construit en centre-ville et un plan de rénovation des quartiers défavorisés est en cours. 

Malgré cela, la précarité s’est accentuée à Clichy-sous-Bois depuis 20 ans, constate Mehdi Bigaderne. L’association AC le feu effectue des distributions d’aide alimentaire tous les mardis et voit arriver de plus en plus de monde depuis la crise du Covid. « Les associations à vocation solidaire se sont démultipliées sur la ville », décrit Mehdi Bigaderne. Il constate une grande difficulté sociale, et pas seulement sur le plan alimentaire. « Des familles avec des dossiers de surendettement, des difficultés à payer le loyer, font de plus en plus appel aux services de la municipalité et aux services sociaux ». 

Pour l’élu, « la crise de confiance envers le politique » explique une partie de l’abstention dans sa ville, mais aussi tous ces gens « complétement happés » par les préoccupations du quotidien.


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